Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 24, 1838.djvu/364

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tre monde, qui, après avoir goûté de ses sacrifices, le reconnurent à la vérité, mais avec de vaines lamentations, avec des gestes faibles et obscurs. Les chants funèbres avaient cessé, comme nous l’avons dit ; et de tout le groupe, la figure la plus distincte était le gigantesque exécuteur, dont le front haut et ridé, aussi bien que la large lame de sa hache, recevait et réfléchissait la brillante flamme de l’autel. Alexis se vit dans la nécessité de rompre ce silence, de crainte que les amis du prisonnier n’en profitassent pour recommencer leurs supplications.

« Nicéphore Brienne, » dit-il d’une voix qui, quoique généralement interrompue par une légère hésitation, d’où ses ennemis lui avaient donné le surnom de Bègue, était pourtant, dans les occasions importantes comme celle-ci, conduite avec tant d’habileté et si bien cadencée, qu’on ne s’apercevait point de ce défaut… « Nicéphore Brienne, ci-devant césar, un juste jugement a été prononcé contre toi, portant que, pour avoir conspiré contre la vie de ton légitime souverain et de ton père affectionné, Alexis Comnène, tu subiras la sentence qui te condamne à avoir la tête séparée du corps. Je viens donc te trouver ici, à ce dernier autel de refuge, suivant le vœu de l’immortel Constantin, pour te demander si tu as quelque chose à alléguer contre l’exécution de ce jugement. Même à cette onzième heure, ta langue est déliée, et tu peux tout dire librement pour sauver ta vie. Tout est préparé dans ce monde et dans l’autre. Regarde au delà de cette porte cintrée… le billot est prêt. Jette un regard derrière toi, la hache est aiguisée… ta place parmi les bons et les méchants est déjà marquée dans l’autre monde… le temps fuit… l’éternité approche. Si tu as quelque chose à dire, dis-le hardiment… sinon confesse la justice de ta condamnation, et va recevoir la mort. »

L’empereur commença cette harangue avec ce regard que sa fille compare à l’éclair ; et si ses périodes ne coulaient pas précisément comme la lave brûlante, c’étaient les accents d’un homme maître de donner des ordres absolus ; aussi produisirent-ils un effet terrible, non seulement sur le criminel, mais encore sur l’empereur lui-même, dont les yeux baignés de larmes et la voix tremblante montraient combien il sentait et comprenait la fatale importance du moment actuel.

Revenant par un effort sur lui-même à la conclusion de ce qu’il avait commencé, l’empereur demanda encore une fois au prisonnier s’il avait quelque chose à dire pour sa défense.