Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 24, 1838.djvu/350

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l’amiral grec tira la première décharge, et, quand les autres vaisseaux de l’escadre imitèrent leur amiral, les cieux furent remplis d’un bruit terrible et inaccoutumé, tandis que la fumée était assez épaisse pour obscurcir l’atmosphère. Comme les fugitifs paissaient sur la cime du promontoire, ils virent le marin que nous avons déjà mentionné comme spectateur, tranquillement couché au fond d’un fossé à sec, où il était arrangé de manière à être, autant que possible, à l’abri de tout accident. Il ne put cependant s’empêcher de lancer une plaisanterie aux politiques.

« Qu’est-ce donc, mes bons amis, » s’écria-t-il sans lever la tête au dessus de la contrescarpe de son fossé, « ne resterez-vous pas assez long-temps à votre poste pour finir la docte dissertation sur les combats de terre et de mer que vous avez eu si bonne occasion de commencer ? Croyez-moi, le bruit fait plus de peur que de mal ; tous les feux sont lancés dans une direction opposée à la vôtre, et s’il arrive qu’un de ces dragons que vous voyez vienne du côté de la terre au lieu d’aller du côté de l’eau, ce sera la méprise de quelque mousse qui aura manié la mèche avec plus de bonne volonté que d’adresse. »

Démétrius et Lascaris entendirent juste assez de la harangue du héros naval pour être informés du nouveau péril qui pourrait les assaillir par suite d’une mauvaise direction donnée au feu, et, se précipitant vers la lice à la tête de la multitude éperdue de frayeur, ils propagèrent bientôt l’alarmante nouvelle que les Latins revenaient d’Asie avec l’intention de débarquer, de piller et de brûler la ville.

Cependant le vacarme qui retentissait subitement dans les airs était bien de nature à confirmer dans l’opinion publique la cause qu’on lui assignait, si exagérée qu’elle fût. Le tonnerre du feu grégeois se faisait entendre coup sur coup ; et chaque coup répandait tour à tour sur la face du paysage une masse de fumée noire, qui, épaissie par ces nuages successifs, sembla enfin, comme celle que produit un feu d’artillerie bien soutenu, obscurcir tout l’horizon.

La petite escadre de Tancrède était complètement dérobée à la vue par les volumes de fumée que les bizarres instruments de guerre de l’ennemi lançaient continuellement au milieu des airs ; et il sembla, par une lueur rouge qui commença à se montrer dans le plus épais des ténèbres, qu’un bâtiment au moins avait pris feu. Cependant les Latins résistèrent avec une obstination digne de leur courage et de la renommée de leur célèbre chef. La petitesse de