Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 24, 1838.djvu/334

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mence à revenir. Oui, murmura-t-il, c’est la voix traîtresse qui m’avait d’abord accueilli comme ami, et qui ensuite a cruellement ordonné qu’on me privât de la vue !… Redouble de rigueur, si tu le veux, Comnène… Ajoute si tu peux, aux tourments de ma détention… mais puisque je ne puis voir ton hypocrite et inhumain visage, épargne-moi, par pitié, le son d’une voix plus désagréable à mes oreilles que les crapauds, que les serpents…. que tout ce qu’a la nature de plus odieux et de plus dégoûtant ! »

Ces paroles furent débitées avec tant d’énergie que ce fut en vain que l’empereur chercha à les interrompre, quoique ce fût seulement le langage d’un ressentiment naturel, langage beaucoup plus clair qu’Alexis n’y avait compté.

« Lève la tête, téméraire, dit-il, et retiens ta langue avant qu’elle continue un discours qui peut te coûter cher. Regarde-moi, et vois si je ne t’ai pas réservé une récompense capable de réparer tous les maux dont ta folie peut m’accuser. »

Jusqu’alors le prisonnier avait tenu ses yeux obstinément fermés, regardant le souvenir imparfait des choses qu’il avait vues le soir précédent comme une pure illusion de son imagination, si elles n’avaient pas été réellement présentées à ses sens par quelque esprit séducteur. Mais alors, quand ses yeux s’arrêtèrent sur la taille majestueuse de l’empereur et sur les formes gracieuses de sa charmante fille, éclairées par les tendres rayons du soleil levant, il s’écria d’une voix faible : « Je vois ! je vois ! » Et, en poussant ce cri, il retomba sur son oreiller sans connaissance : ce qui donna aussitôt de la besogne au médecin et à ses remèdes.

« C’est une cure bien merveilleuse, en vérité ! s’écria Douban ; et le comble de mes désirs serait de posséder un secret si miraculeux. — Fou ! dit l’empereur, ne peux-tu concevoir que ce qui n’a été jamais ôté peut être rendu sans peine ! On lui a fait subir, » ajouta-t-il en baissant la voix, « une pénible opération qui lui a fait croire qu’il avait perdu la vue ; et comme le jour parvenait rarement jusqu’à ses yeux, et, dans ces rares occasions, seulement, par rayons très faibles et douteux, l’obscurité continuelle, obscurité physique et mentale qui l’environnait, l’a empêché de sentir qu’il possédait la précieuse faculté dont il s’imaginait être privé. Peut-être me demanderas-tu pourquoi je l’abusai d’une manière si étrange ?… Uniquement pour qu’étant alors jugé incapable de régner, sa mémoire s’effaçât de l’esprit du public ; en même temps je lui conservais la vue pour que, dans le cas où des circonstances