Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 24, 1838.djvu/324

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rant ou feignant de pleurer amèrement, s’écriait : « J’ai bien lu de pareilles scènes, mais je n’aurais jamais pensé que ma propre fille dût être la principale actrice d’une scène semblable. Aurais-je jamais pu croire que son esprit, admiré par tout le monde comme un palais digne d’être habité par Apollon et par les Muses, n’aurait pas de place pour les vertus plus humbles mais plus aimables d’une femme, la charité et la compassion, vertus qui trouvent un refuge dans le sein de la dernière paysanne ! Ton savoir, tes perfections, tes talents ont-ils répandu autant de dureté que de poli sur ton cœur ? S’il en est ainsi, mieux vaudrait cent fois y renoncer et conserver ces vertus domestiques qui font le plus grand attrait d’un cœur de femme. Une femme sans pitié est un monstre pire que celle à qui toute autre passion fait méconnaître son sexe. — Que voudriez-vous que je fisse ? dit Anne. Ma mère, vous devez savoir mieux que moi que la vie de mon père n’est guère en sûreté avec cet homme audacieux et cruel. Oh ! je suis sûre qu’il médite encore son projet de conspiration ! L’homme qui a pu tromper une femme comme il m’a trompée n’abandonnera jamais un plan fondé sur la mort de son bienfaiteur. — Vous ne me rendez pas justice, Anne, » dit Brienne en se relevant et en lui imprimant un baiser sur les lèvres avant qu’elle pût s’apercevoir de son intention. « Par cette caresse, la dernière que nous aurons échangée, je jure que si j’ai jamais cédé à la folie, du moins je ne me suis pas rendu coupable d’une trahison de cœur envers une femme supérieure à tout son sexe autant par ses talents et ses perfections que par sa beauté. »

La princesse fut adoucie, secoua la tête et répliqua : « Ah ! Nicéphore !… telles étaient jadis vos paroles ! telles peut-être étaient alors vos pensées ! mais qui me garantira aujourd’hui la sincérité des unes et des autres ? — Ces perfections et cette beauté même, répondit Nicéphore. — Et si ce n’est pas assez, dit Irène, votre mère lui servira de caution. Ne regardez pas cette garantie comme insuffisante dans cette affaire. C’est celle de l’impératrice, de l’épouse d’Alexis Comnène qui est intéressée plus que personne au monde à l’augmentation et à l’agrandissement du pouvoir et de la dignité tant de son mari que de sa fille ; c’est l’assurance d’une personne qui veut voir dans cet événement une occasion de clémence, un moyen de fermer les plaies de la maison impériale, et de reconstruire l’édifice du gouvernement sur une base qui ne sera plus ébranlée, s’il existe dans l’homme quelques lueurs de fidélité et de reconnaissance. — Quant à la réalité de cette bonne foi et de cette