Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 24, 1838.djvu/323

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ces régions qui sont les seules où se puisse trouver quelque chose d’égal à ta beauté et à tes talents. — Vous l’entendez, ma fille, dit Irène ; tout ce qu’il demande, c’est votre pardon. Votre situation ressemble à celle de la Divinité, puisque vous pouvez réunir la sûreté de sa vie au pardon de ses offenses. — Vous êtes dans l’erreur, ma mère, répondit Anne ; ce n’est pas à moi de pardonner son crime, et moins encore d’en remettre la peine. Vous m’avez instruite à songer au jugement de la postérité : que diront de moi les siècles futurs, quand on me représentera comme la fille insensible qui aura pardonné à celui qui voulait assassiner son père, parce qu’elle avait en lui un fidèle époux ? — Voyez ! s’écria le césar, n’est-ce pas le comble du malheur, sérénissime impératrice ; et n’ai-je pas vainement offert mon sang pour effacer la tache de parricide et d’ingratitude ? Ne me suis-je pas disculpé de la partie la plus impardonnable de l’accusation, celle qui m’imputait d’avoir voulu tuer le divin empereur ? N’ai-je pas juré par tout ce qui est sacré pour l’homme que mon dessein n’allait que jusqu’à délivrer, pour quelque temps, Alexis des fatigues de l’empire, et à le placer dans un lieu où il aurait pu se livrer au repos et à la tranquillité, où même il aurait continué implicitement à gouverner ses propres états, ses sacrés commandements étant transmis par moi, comme ils l’ont toujours été à toutes les époques et à tous les égards. — Pauvre insensé ! dit la princesse, as-tu approché de si près le marchepied du trône d’Alexis Comnène, et oses-tu concevoir de lui une idée si fausse que de croire possible qu’il consentît à n’être qu’une simple marionnette par laquelle tu réduirais son empire à la soumission ? Sache que le sang des Comnène n’est pas si vil. Mon père eût résisté par les armes à la trahison, et ç’aurait été par la mort seule de ton bienfaiteur que tu eusses satisfait ton ambition criminelle. — Croyez ce qu’il vous plaît de croire, répliqua le césar ; j’en ai dit assez pour une vie qui ne m’est pas et qui ne peut m’être chère. Appelez vos gardes, et dites-leur d’arracher la vie à l’infortuné Brienne, parce qu’il est devenu odieux à son Anne Comnène qu’il a tant chérie. Ne craignez pas qu’aucune résistance de ma part rende la scène de mon arrestation douteuse, ou fatale à personne. Nicéphore Brienne n’est plus césar, et il jette ainsi aux pieds de sa princesse et de son épouse le seul et pauvre moyen qui lui reste de résister à l’exécution de la juste sentence qu’il peut lui plaire de prononcer. »

Il jeta son épée aux pieds de la princesse, tandis qu’Irène, pleu-