Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 24, 1838.djvu/321

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griner ainsi, ma mère ? » répliqua-t-elle d’une voix entrecoupée de sanglots. « Si je ne sentais pas aussi vivement que vous le désirez, ce moment, si cruel qu’il soit, serait encore facile à supporter. Je n’aurais qu’à songer à ce qu’il est, à comparer la beauté de son extérieur avec les défauts de son esprit, qui l’emportent de beaucoup dans la balance, et à me résigner au sort qu’il a mérité, avec une parfaite soumission à la volonté de mon père. — Et vous seriez par ce seul fait unie à quelque misérable que l’habitude de tramer des complots et de conduire des intrigues aurait mis à même, par un malheureux hasard, de se rendre important aux yeux de l’empereur, et qui devrait en conséquence être récompensé par la main d’Anne Comnène. — N’ayez pas si mauvaise opinion de moi, madame. Je sais, aussi bien qu’une Grecque le sut jamais, comment je devrais me soustraire au déshonneur ; et vous pouvez vous fier à moi : vous n’aurez jamais à rougir de votre fille. — Ne parlez pas ainsi, puisque je rougirai également de l’impitoyable cruauté qui abandonne un époux jadis aimé à une mort ignominieuse, et de la passion, que je ne saurais nommer, qui le remplacerait par un obscur barbare, ou par quelque misérable échappé des cachots de Blaquernal. »

La princesse fut extrêmement surprise en s’apercevant que sa mère connaissait les desseins les plus secrets que son père avait formés pour sa conduite au milieu de cette crise. Elle ignorait qu’Alexis et sa royale compagne, vivant ensemble sous d’autres rapports avec la décence exemplaire des personnes de leur rang, avaient parfois, en de grandes occasions, des querelles intérieures où l’époux, provoqué par l’incrédulité apparente de l’épouse, laissait deviner une plus grande partie de ses véritables projets qu’il n’aurait voulu le faire s’il eût gardé son sang-froid.

La princesse était émue par l’idée de la mort si prochaine de son mari, et l’on n’aurait pas pu raisonnablement supposer qu’il en eût été autrement ; mais elle fut encore plus piquée et plus humiliée que sa mère prît pour un fait qu’elle voulût remplacer sur-le-champ le césar par un successeur quelconque, et, dans tous les cas, indigne. Quelles que fussent les considérations qui l’avaient portée à jeter les yeux sur Hereward, elles n’eurent plus d’effet quand ce mariage fut placé sous ce point de vue odieux et dégradant. D’ailleurs il faut se rappeler que les femmes nient presque instinctivement leurs premières pensées en faveur d’un amant, et que rarement elles les révèlent volontiers, à moins que le temps et les circonstances ne