Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 24, 1838.djvu/320

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sa joie, sa peine, son amour et son désespoir. Ayez donc confiance en moi, ma fille, et croyez-moi, je sauverai en même temps et la couronne de votre père et votre bonheur. Votre mari a été coupable, très cruellement coupable ; mais, Anne, il est homme… et en lui donnant ce nom, je lui impute comme défauts naturels une trahison irréfléchie, une folle infidélité, et toute espèce de sottises et d’inconséquences auxquelles sa race est sujette. Vous ne devez donc songer à ses fautes que pour les lui pardonner. — Madame, répondit Anne Comnène, excusez-moi si je vous rappelle que vous conseillez à une princesse, née dans la pourpre, un plan de conduite qui conviendrait à peine à la femme qui porte la cruche pour aller faire à la fontaine du village la provision d’eau dont elle a besoin. Tous ceux qui m’entourent ont été instruits à me rendre les honneurs dus à ma naissance ; et lorsque ce Nicéphore Brienne rampait sur ses genoux pour atteindre la main de votre fille, que vous lui présentiez, il recevait plutôt le joug d’une maîtresse qu’il ne formait une alliance domestique avec une épouse. Il s’est exposé à son destin, sans avoir l’ombre de cette tentation que des coupables moins illustres pourraient alléguer comme excuse ; et si la volonté de mon père est qu’il meure, qu’il soit banni ou renfermé dans une prison pour le crime qu’il a commis, il n’appartient pas à Anne Comnène de s’y opposer, attendu qu’elle est la plus injuriée de toute la famille impériale, et qu’elle a droit de se plaindre de sa fausseté sous tant de rapports. — Ma fille, répliqua l’impératrice, je vous accorde que la trahison de Nicéphore envers votre père et moi est à un haut degré impardonnable ; et je ne vois guère d’après quel principe, sinon d’après celui de la générosité, on pourrait épargner sa vie. Mais vous êtes, vous, dans une situation différente de la mienne, et vous pouvez, comme tendre et affectueuse épouse, comparer l’intimité de vos premières relations avec le changement sanglant qui doit être sitôt la conséquence et la conclusion de ses crimes. Il possède cet air et ces traits dont les femmes conservent long-temps le souvenir ; que l’objet aimé soit vivant ou mort, songez ce qu’il vous en coûtera pour vous rappeler qu’un infâme bourreau a reçu son dernier adieu… que sa tête si belle n’a trouvé pour tout lieu de repos que le bloc de l’exécuteur… que sa langue, dont vous aviez l’habitude de préférer le son aux plus doux instruments de musique, est à jamais muette dans la poussière. »

Anne, qui n’était pas insensible aux grâces personnelles de son mari, fut très émue de cet appel pathétique. « Pourquoi me cha-