Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 24, 1838.djvu/318

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faire excuser l’épithète un peu tendre dont Anne Comnène salua Hereward ; et s’il avait plu au Varangien de répondre sur le même ton (ce qui, tout fidèle qu’il était, aurait bien pu arriver si l’entretien avait eu lieu avant qu’il eût revu sa fiancée Bertha), la fille d’Alexis, à vrai dire, n’en aurait pas été mortellement offensée. Épuisée qu’elle était, elle laissa reposer sa tête sur la large poitrine et sur l’épaule de l’Anglo-Saxon, et elle ne fit aucun effort pour se relever, quoique la réserve de son sexe et de son rang semblât lui commander un tel effort. Hereward fut lui-même obligé de demander à Anne, avec le ton froid et respectueux d’un simple soldat s’adressant à une princesse, s’il ne fallait pas appeler ses femmes. À quoi elle répondit négativement d’une voix faible : « Non, non ! mon père m’a chargée d’une mission, et il faut que je la remplisse sans témoin… il sait que je suis en sûreté, Hereward, puisqu’il sait que je suis avec vous ; et si je vous suis un fardeau dans mon état de faiblesse, je vais bientôt revenir à moi, et vous n’avez qu’à me déposer sur ces marches de marbre. — À Dieu ne plaise, madame, dit Hereward, que je sois si négligent de la précieuse santé de Votre Altesse. Je vois vos deux jeunes dames, Astarté et Violante, qui vous cherchent… Permettez-moi de les appeler ici, et je vous veillerai si vous n’êtes pas en état de gagner votre chambre, où il me semble que vous recevriez plus efficacement les soins qu’exige l’irritation actuelle de vos nerfs. — Fais ce que tu voudras, barbare, » dit la princesse en se retirant, avec un certain air de dépit provenant peut-être de ce qu’elle pensait que pour cette scène il ne fallait pas d’autres dramatis personœ[1] que les deux acteurs qui occupaient déjà le théâtre. Semblant alors, comme pour la première fois, se rappeler le message dont elle était chargée, elle engagea le Varangien à se rendre immédiatement auprès d’Alexis.

En de pareilles occasions, les moindres circonstances produisent de l’effet sur les acteurs. L’Anglo-Saxon s’aperçut que la princesse était un peu offensée ; mais était-ce parce qu’elle se trouvait littéralement dans les bras d’Hereward, ou parce qu’elle était découverte dans cette position par les deux jeunes filles ? Le soldat n’eut pas la présomption de le décider ; il alla rejoindre Alexis sous les sombres voûtes, avec sa hache à double tranchant, la terreur de l’infidèle, qui brillait sur son épaule.

Astarté et sa compagne avaient été dépêchées par l’impératrice

  1. Personnages de la pièce. a. m.