Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 24, 1838.djvu/317

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

grande et opaque figure jeta son ombre entre la lampe et la porte du vestibule. Saisie d’une horrible frayeur à l’idée de devenir l’épouse d’un malheureux tel qu’Ursel, un moment de faiblesse s’empara de l’esprit de la princesse ; en considérant le triste choix que son père lui avait proposé, elle ne put s’empêcher de penser que le brave et beau Varangien qui avait déjà sauvé la famille royale d’un danger si imminent, lui conviendrait mieux pour époux, si elle était forcée de se marier une seconde fois, que l’être singulier et dégoûtant que la politique de son père voulait tirer du fond des cachots de Blaquernal.

Je ne dirai pas que la pauvre Anne Comnène, qui était une femme timide, mais sensible, aurait embrassé une telle proposition, si la vie de son époux actuel, Nicéphore Brienne, n’eût été dans un extrême danger ; mais c’était évidemment la détermination de l’empereur que, s’il épargnait la vie du césar, ce serait à la seule condition de redevenir maître de la main de sa fille, afin de la donner à quelqu’un de meilleure foi, et plus désireux de se montrer gendre affectueux. Le plan d’accepter le Varangien pour second mari n’entrait pas non plus précisément dans l’esprit de la princesse : elle se trouvait dans un moment critique, et pour se soustraire au péril, il fallait une décision prompte ; peut-être ensuite, le péril une fois éloigné, trouverait-elle moyen de se débarrasser et d’Ursel et du Varangien, sans priver son père du secours de l’un ou de l’autre, et sans se donner elle-même. En tout cas, la plus grande probabilité de salut était de s’assurer le jeune soldat dont les traits et la tournure étaient propres à ne point rendre cette tâche désagréable à une belle femme. Les projets de conquête sont si naturels au beau sexe, et cette idée, qui se présentait pour la première fois à l’esprit d’Anne Comnène, se développa si vite, qu’elle occupait entièrement la vive imagination de la princesse, lorsque le Varangien, fort étonné de la voir tout-à-coup sortir de ce gouffre, s’avança avec un profond respect, s’agenouilla, et présenta son bras à la princesse pour l’aider à sortir de l’affreux escalier.

« Mon cher Hereward, « dit Anne avec une familiarité assez extraordinaire, « combien je me réjouis, après cette effrayante soirée, de me trouver sous votre protection ! Je sors de lieux que les mauvais esprits semblent avoir construits pour la race humaine. » Les alarmes de la princesse, la familiarité naturelle à une jolie femme qui, dans sa frayeur mortelle, cherche un refuge, comme la colombe effrayée, dans le sein d’un être fort et brave, doivent