Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 24, 1838.djvu/315

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y touchent ; il ne souffrira point que sa femme et sa fille, pour lesquelles il fut indulgent dans la prospérité, contrarient sa volonté tant qu’il en aura une. Il n’est guère possible que vous n’ayez pas compris que j’étais presque décidé à vous donner, comme marque de ma reconnaissance, à cet obscur Varangien, sans lui adresser la moindre question sur sa naissance ou son rang. Vous pourrez tout-à-l’heure m’entendre vous promettre à un homme qui a trois ans habité ces voûtes, et qui deviendra césar en place de Brienne, si je puis le décider à prendre une princesse pour épouse, et une couronne impériale pour héritage, au lieu de mourir lentement dans un cachot. — Je tremble à chacune de vos paroles, mon père, répondit Anne Comnène. Comment pourriez-vous jamais vous fier à un homme qui a éprouvé votre cruauté ?… Comment vous imagineriez-vous que rien puisse jamais vous concilier sincèrement l’amitié d’un homme que vous avez privé de la vue ? — Ne vous en inquiétez pas ; il deviendra mien où il ne saura plus ce que c’est d’être à soi… Quant à vous, ma fille, soyez certaine que, si je le veux, vous serez demain l’épouse de l’homme qui est actuellement mon prisonnier, ou que vous entrerez dans le couvent le plus austère pour ne jamais revoir le monde. Gardez donc le silence, et attendez votre destin quel qu’il soit ; mais n’espérez pas que tous vos efforts puissent en détourner le cours. »

Après avoir fini ce singulier dialogue, dans lequel il avait pris un ton auquel sa fille n’était nullement habituée, et qui l’avait glacée de frayeur, il passa par plus d’une porte solidement fermée, tandis que la pauvre princesse, d’un pas chancelant, éclairait la route obscure. Enfin, il pénétra par un autre passage dans le cachot où était enfermé Ursel, et le trouva couché à terre dans une misère sans espoir… car elles s’étaient évanouies de son âme, toutes les espérances qu’il avait fondées sur l’indomptable valeur du comte de Paris. Il tourna ses yeux privés de lumière vers l’endroit d’où il entendit approcher des pas et tirer des verroux.

« Voici du nouveau, dit-il ; j’entends venir un homme d’un pas pesant et déterminé, et une femme ou un enfant dont le pied effleure à peine la terre !… Est-ce la mort que vous m’apportez ?… Croyez-moi, j’ai vécu assez long-temps dans ces cachots pour me soumettre avec joie à ma destinée. — Ce n’est point la mort, noble Ursel, » répliqua l’empereur en déguisant un peu sa voix ; « c’est la vue, la liberté, tout ce que peut donner le monde, que l’empereur Alexis vient mettre aux pieds de son noble ennemi ; et il es-