Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 24, 1838.djvu/310

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qui se réfléchissait dans le miroir, tourna la tête pour examiner l’objet dont la réflexion était si étrange. Mais il avait disparu derrière le rideau, et ce ne fut qu’une minute ou deux après que la figure, moitié railleuse, moitié refrognée, se montra de nouveau dans le miroir.

« Par les dieux ! s’écria Agelastès… — Auxquels vous avez tout à l’heure déclaré ne pas croire, ajouta la comtesse. — Par les dieux ! » répéta Agelastès se remettant un peu de sa peur, « c’est Sylvain, cette singulière caricature de l’humanité, qui fut amenée, dit-on de Taprobane ! Je gage qu’il croit aussi à son jovial dieu Pan, ou au vieux Sylvain. Aux yeux de l’ignorant, c’est une créature effroyable, mais elle fuit devant le philosophe comme l’ignorance devant le savoir. » En parlant ainsi, il tira d’une main le rideau sous lequel l’animal s’était blotti lorsqu’il était entré par la fenêtre du pavillon, et de l’autre, tenant un bâton levé, il le menaça de le châtier, et en même temps il lui cria : « Comment donc, Sylvain ? quelle est cette insolence ?… À ta place ! »

En prononçant ces mots il frappa l’animal ; le coup tomba malheureusement sur sa main blessée, et réveilla la douleur que lui causait cette blessure. Son caractère sauvage revint tout-à-coup ; il oublia pour le moment toute crainte de l’homme, et, poussant un cri féroce bien qu’étouffé, il se jeta sur le philosophe et lui serra le cou, avec une extrême furie, de ses bras robustes et nerveux. Le vieillard fit vainement tous ses efforts pour s’arracher des mains de l’animal. Sylvain ne lâcha point prise, il noua plus fortement ses bras nerveux autour du cou du philosophe, et accomplit son dessein de ne point lâcher son ennemi avant qu’il eût rendu le dernier soupir. Deux cris affreux, accompagnés chacun d’une effrayante grimace et d’une pression de main plus forte, terminèrent en moins de cinq minutes le terrible combat.

Agelastès resta étendu sans vie, et son meurtrier Sylvain, s’éloignant du cadavre en bondissant, comme épouvanté de ce qu’il avait fait, s’échappa par la fenêtre. La comtesse demeura muette de surprise, ne sachant si elle venait de voir un exemple immédiat des jugements du ciel, ou l’exécution de sa vengeance par des moyens purement humains. Vexhelia ne fut pas moins étonnée, quoiqu’elle connût beaucoup mieux l’animal.

« Madame, dit-elle, cette créature gigantesque est un animal d’une grande force, ressemblant à l’espèce humaine pour la forme, mais plus haut de taille, et, encouragé par le sentiment de son