Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 24, 1838.djvu/295

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avaient élevé au poste éminent de général en chef d’une armée qui comptait dans son sein les capitaines les plus braves et les hommes les plus nobles de la chrétienté. — Quelles sont ces deux personnes ? » continua Godefroy en parlant des compagnons de Bertha qu’il vit à une certaine distance de la tente, où ils se tenaient en l’attendant.

« L’un, répondit la jeune fille, est le maître de la barque qui m’a amenée sur cette rive ; et l’autre un vieux Varangien qui m’a accompagnée comme protecteur. — Comme leur langue pourrait raconter sur la rive opposée ce que leurs yeux ont pu voir ici, répliqua le général des croisés, je ne juge pas prudent de les laisser s’en retourner avec vous. Ils resteront ici quelque peu de temps ; les habitants de Scutari ne comprendront pas d’abord quelles sont nos intentions, et je désire que le prince Tancrède et les guerriers qui l’accompagnent soient les premiers à annoncer leur arrivée. »

En conséquence, Bertha fit connaître à ses compagnons la volonté du général franc sans en alléguer les motifs ; le marinier se récria sur l’injustice qu’il y aurait à l’empêcher de faire son métier, et Osmond se plaignit de ce qu’on le faisait manquer à son devoir. Mais Bertha, par ordre de Godefroy, leur assura qu’ils seraient bientôt rendus à la liberté. Se trouvant ainsi abandonnés, chacun d’eux se livra à son amusement favori : le batelier se mit à regarder avec des yeux ébahis tout ce qu’il trouvait nouveau ; et Osmond ayant accepté l’offre d’un déjeuner qui lui fut faite par quelque domestique, se mit à causer avec un flacon de vin si savoureux, que le Varangien se fût aisément réconcilié avec un destin plus fâcheux que le sien.

Le détachement de Tancrède, composé de cinquante lances, avec leur suite, après avoir pris à la hâte un léger repas, se trouva équipé et à cheval avant la grande chaleur de midi. Après quelques manœuvres, dont les Grecs de Scutari (car leur curiosité avait été éveillée par les préparatifs du détachement) ne purent comprendre le but, ils se formèrent en une colonne sur quatre de front. Lorsque les chevaux furent dans cette position, tous les cavaliers se mirent soudain à les faire marcher en arrière ; c’était un mouvement auquel ils étaient accoutumés, cavaliers et chevaux, et qui d’abord ne causa point grande surprise aux spectateurs ; mais quand ils virent la même évolution rétrograde se continuer, et le corps des croisés se disposer à entrer dans la ville de Scutari d’une façon si extraordinaire, on commença à soupçonner la vérité. Enfin le cri fut général, lorsque Tancrède, et quelques autres dont les coursiers