Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 24, 1838.djvu/271

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lui avait servi plus d’une fois de mot d’ordre, et cet anneau était alors si généralement reconnu par les esclaves du palais, qu’Hereward n’eut qu’à le glisser dans la main d’un de leurs chefs pour être introduit dans une petite chambre assez voisine du salon dédié aux Muses, dont nous avons déjà parlé. Dans ce petit appartement, l’empereur, son épouse Irène et leur savante fille Anne Comnène, étaient assis ensemble, couverts de vêtements fort ordinaires ; et au fait l’ameublement du cabinet lui-même ne différait nullement de celui d’un respectable particulier ; seulement des coussins d’édredon étaient suspendus devant chaque porte, pour mettre en défaut la curiosité des gens du palais.

« Notre fidèle Varangien, dit l’impératrice. — Mon guide et mon maître en ce qui touche les usages de ces hommes d’acier, dont il est nécessaire que je me forme une idée exacte, ajouta la princesse Anne Comnène. — Votre Majesté impériale, reprit l’impératrice, ne pensera point, je l’espère, que son épouse et sa fille inspirée par les Muses, soient de trop pour apprendre les nouvelles que vous apporte cet homme brave et loyal. — Ma chère épouse, ma chère fille, répondit l’empereur, je vous ai jusqu’à présent épargné le fardeau d’un pénible secret que j’ai renfermé dans mon propre sein, quoiqu’il m’en ait coûté pour endurer seul une si grande douleur. Ma noble fille, c’est vous qui sentirez surtout le poids de cette calamité, en apprenant qu’il ne vous faut plus songer qu’avec horreur à l’homme dont votre devoir a été jusqu’ici d’avoir une opinion toute différente. — Sainte Marie ! s’écria la princesse. — Remettez-vous, ma fille, répliqua l’empereur ; rappelez-vous que vous êtes enfant de la chambre de pourpre, née non pour pleurer sur les injures faites à votre père, mais pour les venger… et que vous ne devez pas attacher la moitié autant d’importance même à l’homme qui couche à votre côté, qu’à la grandeur impériale et sacrée à laquelle vous participez vous-même. — Que présage un semblable discours ? » demanda Anne Comnène avec une grande agitation.

« On dit, répliqua l’empereur, que le césar oublie toutes mes bontés, même celle qui l’a admis au sein de ma famille, et qui l’a fait mon fils par adoption. Il s’est associé à une bande de traîtres, dont les noms seuls suffiraient pour évoquer le malin esprit, comme pour se saisir plus infailliblement de sa proie.

« Nicéphore en est-il donc capable ? » dit la princesse stupéfaite et consternée, « Nicéphore qui a souvent appelé mes yeux les lu-