Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 24, 1838.djvu/241

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pût gagner ces affections qui ont été dérobées plutôt qu’accordées volontairement, combien n’y aurait-il pas de guerriers qui seraient jaloux de descendre dans la lice quand le prix de la victoire est si beau ! Quelle est l’entreprise trop difficile pour qu’on ne la tente à une pareille condition ? et où est l’homme dont le cœur ne sentirait pas qu’en dégainant son épée pour une semblable cause, il fait vœu de ne pas la remettre dans le fourreau sans pouvoir dire avec orgueil : Ce que je n’ai pas encore obtenu, je l’ai mérité ! — Vous voyez, madame, reprit Agelastès, qui, pensant que les dernières paroles du césar avaient produit quelque impression, se hâta d’ajouter quelques mots dans le même esprit : « vous voyez que le feu de la chevalerie brûle aussi bien dans le sein des Grecs que dans celui des peuples de l’Occident. — Oui, répondit Brenhilda ; j’ai entendu parler du célèbre siège de Troie, occasionné par la poltronnerie d’un lâche qui enleva la femme d’un homme courageux, refusa de se mesurer en combat singulier avec l’époux qu’il avait outragé, et enfin causa la mort de ses nombreux frères, la destruction de sa ville natale, de toutes les richesses qu’elle contenait, et mourut lui-même de la mort d’un infâme poltron, pleuré seulement par sa maîtresse indigne ; voilà comment les règles de la chevalerie étaient comprises par vos ancêtres. — Madame, vous êtes dans l’erreur, répliqua le césar ; Pâris était un asiatique dissolu, et ce fut le courage des Grecs qui vengea ses outrages. — Vous êtes savant, seigneur, reprit la dame ; mais ne croyez pas que j’ajoute foi à vos paroles avant que j’aie vu un Grec, un chevalier grec, assez brave pour regarder sans crainte le cimier du casque de mon époux. — C’est une chose qui ne serait pas extrêmement difficile. Si l’on ne m’a point flatté, j’ai été moi-même jugé, dans les combats, l’égal d’hommes plus redoutables que celui qui a été si étrangement marié à la belle Brenhilda. — Cela sera bientôt prouvé, reprit la comtesse. Vous auriez peine à nier, je pense, que mon mari, séparé de moi par quelque indigne supercherie, soit à votre disposition, et puisse être amené ici selon votre bon plaisir. Je ne demande pas pour lui d’autre armure que celle qu’il porte d’ordinaire, d’autre arme que sa bonne épée tranchefer ; puis combattez-le dans cette chambre, ou dans toute autre lice aussi étroite, et, s’il prend la fuite, s’il demande quartier, s’il reste mort sous son bouclier, que Brenhilda soit le prix du vainqueur !… Ciel miséricordieux ! » s’écria-t-elle en se laissant tomber sur son siège, « pardonne-moi de supposer même qu’une telle issue soit possible,