Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 24, 1838.djvu/202

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le lui conseillera. Le bouquet d’un vin si délicieux me suffit. »

En parlant ainsi, il vida le vin dans un autre vase, et sembla alternativement admirer la ciselure de la coupe et le parfum du vin qu’elle avait récemment contenu.

« Vous avez raison, sire Bohémond, dit l’empereur ; le travail de cette coupe est d’une grande beauté ; elle a été travaillée par un des anciens graveurs grecs. La coupe tant vantée de Nestor, dont Homère nous a fait la description, était beaucoup plus grande peut-être, mais n’égalait celle-ci ni par la valeur du métal ni par la beauté exquise du travail. Que chacun donc de mes hôtes étrangers accepte la coupe dans laquelle il a bu où il aurait dû boire, comme un souvenir de moi, et puisse l’expédition contre les infidèles être aussi heureuse que leur confiance et leur courage le méritent ! — Si j’accepte votre don, puissant empereur, répondit Bohémond, c’est seulement pour réparer la discourtoisie dont j’ai l’air de me rendre coupable en refusant par dévotion de faire raison à Votre Majesté, et pour vous montrer que nous nous séparons aux termes de l’amitié la plus intime. »

En parlant ainsi, il salua profondément l’empereur, qui lui répondit par un sourire où il entrait une forte expression de sarcasme.

« Et moi, dit le comte de Paris, je prends sur ma conscience de faire raison à Votre Majesté impériale, ne voulant pas encourir le blâme d’aider à dégarnir votre table de ces belles coupes ; nous les vidons à votre santé, et nous ne pouvons en profiter d’aucune autre manière. — Mais le prince Bohémond le peut, répliqua l’empereur, et elles seront portées à son logement, ennoblies par l’usage que vous en avez fait. Et nous en avons encore pour vous et pour votre aimable comtesse un autre assortiment du même genre que les Grâces, s’il n’égale plus le nombre des nymphes du Parnasse… La cloche du soir sonne, et nous avertit de songer à l’heure du repos, afin d’être prêts à soutenir les travaux de la journée qui va suivre. »

L’assemblée se sépara. Bohémond quitta le palais le même soir, n’oubliant pas les muses, dont il n’était pas cependant un zélé sectateur. Comme le rusé Grec l’avait prévu, il résulta de cette soirée, entre Bohémond et le comte, non pas tout-à-fait une querelle, mais une espèce de différence d’opinion ; Bohémond sentit que le fier comte de Paris devait trouver sa conduite sordide, tandis que le comte Robert était beaucoup moins disposé qu’auparavant à s’en remettre au conseil du prince d’Antioche.