Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 24, 1838.djvu/198

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avaient été conservées long-temps dans la famille impériale, ayant été construites sur le modèle de celles qui gardaient le trône du sage roi d’Israël ; là-dessus le comte avoua franchement qu’il doutait fort que le plus sage prince du monde eût jamais voulu effrayer ses sujets ou ses hôtes par les rugissements d’un lion de bois. « Si, dit-il, je me suis trop pressé de le prendre pour une créature vivante, j’en ai été puni en endommageant un excellent gantelet pour mettre son crâne en pièces. »

L’empereur, après avoir encore échangé quelques mots sur le même sujet, proposa de passer dans la salle du banquet. Précédés du grand écuyer tranchant de la table impériale, et accompagnés de tous ceux qui étaient présents, excepté l’empereur et les membres de la famille, les hôtes Francs furent conduits à travers un labyrinthe d’appartements. Chacun de ces appartements était rempli de merveilles de la nature et de l’art propres à donner une haute opinion de la richesse et de la grandeur qui avaient réuni tant de choses étonnantes. La marche étant nécessairement lente et interrompue, donna à l’empereur le temps de changer d’habits, car l’étiquette de la cour ne permettait pas qu’il parût deux fois dans le même costume devant les mêmes spectateurs. Il prit cette occasion pour mander Agelastès en sa présence, et, afin que leur conférence fût secrète, il employa pour sa toilette un des muets destinés au service de l’intérieur.

Alexis Comnène était très ému, quoique ce fût une des particularités de sa situation d’être toujours dans la nécessité de déguiser les émotions de son âme, et d’affecter en présence de ses sujets une élévation au dessus des passions humaines, qu’il était loin de ressentir. Ce fut donc avec gravité et même d’un ton de reproche qu’il demanda « comment il se faisait que l’astucieux Bohémond, moitié Italien et moitié Asiatique, se trouvât présent à cette entrevue ? Certes, s’il y a un homme dans l’armée des croisés capable d’introduire ce jeune fou et sa femme dans les coulisses du spectacle par lequel nous espérions leur en imposer, le prince d’Antioche, comme il se fait appeler, est cet homme. — C’est ce vieux Michel Cantacuzène, dit Agelastès (si je puis répondre et vivre), qui s’est imaginé que la présence du croisé était particulièrement désirée ; mais il retourne au camp ce soir même. — Oui, reprit Alexis, pour informer Godefroy et l’armée que l’un des plus estimés d’entre eux reste avec sa femme, comme otage, dans notre ville impériale, et nous faire menacer peut-être d’une guerre immédiate, à moins qu’on