Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 24, 1838.djvu/197

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tapis du trône furent couverts de roues, de ressorts et des autres pièces mécaniques qui avaient été employées pour produire de l’effroi.

En découvrant la nature réelle de ce qui avait excité sa colère, le comte Robert ne put s’empêcher de se sentir un peu honteux de s’être abandonné à son emportement dans une telle occasion. Il fut encore plus confus lorsque Bohémond, descendant de la place qu’il occupait près de l’empereur, lui adressa ces mots en langue franque : « Vous avez fait un utile exploit, en vérité, comte Robert, en délivrant la cour de Byzance d’un objet qui avait été long-temps employé à épouvanter les enfants maussades et les barbares qu’on ne pouvait mettre à la raison ! »

L’enthousiasme n’a pas de plus grand ennemi que le ridicule. « Pourquoi donc, » demanda le comte Robert en rougissant beaucoup, « ont-ils déployé devant moi ces terreurs fantastiques ? Je ne suis ni un enfant ni un barbare. — Parlez donc à l’empereur comme un homme raisonnable, reprit Bohémond ; dites-lui quelque chose pour vous excuser de votre conduite, et montrez que votre courage ne vous a pas abandonné comme votre raison ; et écoutez ceci tandis que j’ai un instant pour vous parler… imitez exactement mon exemple à souper, vous et votre femme ! » Ces paroles furent prononcées d’un ton significatif et accompagnées d’un coup œil très expressif.

L’opinion de Bohémond, à cause de ses longues relations avec l’empereur des Grecs en paix et en guerre, avait une grande influence sur les croisés, et le comte Robert se rendit à cet avis. Il se tourna vers l’empereur par un mouvement qui ressemblait davantage à une inclination que tout ce qu’on avait pu remarquer dans ses manières jusqu’à ce moment. « Je vous demande pardon dit il, d’avoir brisé cette machine dorée ; mais en vérité les merveilles de la magie et les prodiges des jongleurs adroits sont si nombreux dans ce pays, qu’on ne distingue pas clairement ce qui est vrai de ce qui est faux, et ce qui est réel de ce qui est illusoire. »

L’empereur, malgré la présence d’esprit dont il était doué à un degré remarquable, et le courage dont ses compatriotes ne l’accusaient pas de manquer, recrut cette excuse d’assez mauvaise grâce. La condescendance chagrine avec laquelle il accepta l’apologie du comte pourrait assez bien se comparer avec l’air d’une de nos dames à laquelle un maladroit convive vient de casser une porcelaine de prix. Il murmura quelques mots sur ce que ces machines