Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 24, 1838.djvu/196

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tion que le temps et le lieu le permettaient, entra en faisant ses courbettes et ses génuflexions, ne doutant pas que le Franc ne le suivît, et que pour entrer il ne fût obligé de se courber devant l’empereur. Le comte, cependant, fort mécontent du tour qu’il pensa qu’on avait voulu lui jouer, se retourna et entra dans la salle de réception le dos tourné vers le souverain ; il ne se tourna en face d’Alexis que lorsqu’il eut atteint le milieu de l’appartement, où il fut rejoint par la comtesse, qui s’était présentée d’une manière plus convenable. L’empereur s’était préparé à reconnaître l’hommage du comte de la manière la plus gracieuse, et il se trouva alors dans une situation encore plus désagréable que lorsque l’inflexible Franc avait usurpé sa place sur le trône impérial dans le cours de la journée.

Les officiers et les nobles qui étaient présents, quoiqu’on n’eût choisi que l’élite de l’empire, étaient plus nombreux que de coutume, la réunion ayant lieu non pour un conseil, mais pour la représentation. Ils prirent tous l’air de déplaisir et de confusion qui s’adaptait le mieux à la perplexité d’Alexis, tandis que les traits astucieux du Normand-Italien, Bohémond d’Antioche, qui était aussi présent, exprimaient un singulier mélange de joie et d’ironie. Il est dans la destinée malheureuse des plus timides, en semblable occasion, d’être obligés honteusement de feindre d’avoir la vue basse, et de ne pas voir ce dont ils ne peuvent se venger.

Alexis donna le signal pour que la grande cérémonie de réception commençât. Aussitôt les lions de Salomon, nouvellement fourbis, levèrent la tête, dressèrent leurs crinières et agitèrent leurs queues. L’imagination du comte Robert, déjà excitée par les circonstances qui avaient accompagné sa réception, s’exalta au plus au haut degré ; il crut que les rugissements de ces automates annonçaient une attaque immédiate. Les lions dont il voyait la forme étaient-ils réellement des monarques de la forêt ? étaient-ce des mortels qui avaient subi une transformation ? l’œuvre d’un habile jongleur ou d’un savant naturaliste ? C’est ce que le comte ne savait ni ne s’embarrassait de savoir. Tout ce qu’il pensa ce fut que le danger était digne de lui, et sa bravoure ne lui permit pas un moment d hésitation. Il s’avança vers le lion le plus proche, qui semblait se disposer à s’élancer, et dit d’un ton de voix aussi formidable que le rugissement du lion : « Eh bien, chien ! » En même temps il frappa la machine de son poing fermé et garni de son gantelet d’acier, avec une telle force, que la tête vola en éclats, et que les marches et les