Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 24, 1838.djvu/183

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l’escadron, fut mandé pour se rendre auprès de la princesse. Il fit le salut militaire, et sa physionomie devint sombre au moment où ses yeux rencontrèrent le regard fier du Français, qui se tenait aux côtés d’Anne Comnène.

« Ne t’ai-je pas compris, soldat, dit la princesse, ou ne m’as-tu pas dit il y a à peu près un mois, que les Normands et les Francs étaient le même peuple, et les ennemis de la race dont tu descends ? — Les Normands sont les mortels ennemis, princesse, répondit Hereward, par qui nous avons été chassés de notre terre natale. Les Francs sont sujets du même suzerain que les Normands, et par conséquent, ils n’aiment point les Varangiens ni n’en sont aimés. — Brave homme, dit le comte français, vous faites tort aux Francs et vous donnez aux Varangiens, quoique cela soit fort naturel de votre part, un degré d’importance qu’ils ne méritent pas, lorsque vous supposez que des hommes qui ont cessé de former une nation indépendante depuis plus d’une génération, puissent être un objet d’intérêt ou de ressentiment pour des guerriers tels que nous. — L’orgueil de votre cœur, répondit le Varangien, et la supériorité que vous vous attribuez sur ceux qui ont été moins heureux à la guerre que vous, ne sont certes pas pour moi chose nouvelle ; c’est Dieu qui renverse et qui édifie, et il n’est pas au monde un espoir que les Varangiens embrassent avec plus de plaisir que celui de voir cent des leurs se mesurer à armes égales, soit avec les tyranniques Normands, soit avec les compatriotes de ceux-ci, les présomptueux Français, et laisser Dieu juge de ceux qui sont le plus dignes de la victoire. — Vous profitez avec insolence, dit le comte de Paris, de l’opportunité que le hasard vous fournit de braver un noble. — Mon chagrin et ma honte sont que l’opportunité ne soit pas complète, et qu’il y ait une chaîne autour de moi, qui m’empêche de dire : Tue-moi, ou je te mettrai à mort avant que nous sortions de ce lieu ! — Comment, rustre sans cervelle, quel droit as-tu à l’honneur de mourir de ma main ? Tu es fou, ou tu as si souvent vidé la coupe d’ale que tu ne sais ce que tu penses ou ce que tu dis. — Tu mens ! s’écria le Varangien, quoiqu’un tel reproche soit le plus sanglant affront qu’on puisse faire à ta race. »

Le Français porta la main à son épée avec la rapidité de l’éclair, mais il la retira aussitôt, et dit avec dignité : Tu ne peux m’offenser ! — Mais toi, reprit l’exilé, tu m’as offensé sur un point qui ne peut attendre de réparation que de ta bravoure. — Où et quand t’ai-je offensé ? demanda le comte, quoiqu’il soit inutile de te poser une