Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 24, 1838.djvu/181

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gues philosophiques, s’avançait aux côtés de la comtesse Brenhilda, et semblait vouloir lui consacrer son éloquence. La belle historienne, quoiqu’elle voyageât d’ordinaire dans une litière, préféra en cette occasion un cheval vif, qui la mettait en état de suivre le comte Robert de Paris, dont elle paraissait vouloir occuper l’imagination, sinon la sensibilité. La conversation de l’impératrice avec son gendre n’a pas besoin d’être rapportée dans ses détails. C’était un tissu de critiques sur les manières et la conduite des Francs, et un désir bien prononcé qu’ils fussent bientôt transportés hors des états de la Grèce pour n’y jamais retourner. Tel était du moins le ton de l’impératrice, et le césar ne jugea pas à propos d’émettre une opinion plus tolérante au sujet des étrangers. D’un autre côté, Agelastès prit un long détour avant de se hasarder à aborder le sujet qu’il désirait mettre sur le tapis. Il parla de la ménagerie de l’empereur comme d’une magnifique collection d’histoire naturelle ; il loua diverses personnes de la cour, pour avoir encouragé Alexis Comnène dans cet amusement sage et philosophique ; mais enfin le philosophe abandonna l’éloge de tous les autres pour appuyer longuement sur celui de Nicéphore Brienne, à qui le cabinet ou la collection de Constantinople était, dit-il, redevable des principaux trésors qu’il contenait.

« Je suis bien aise qu’il en soit ainsi, » répondit la fière comtesse, sans baisser la voix ni laisser voir aucun changement dans ses manières ; « je suis bien aise qu’il sache faire autre chose que de parler à l’oreille de jeunes femmes étrangères. Croyez-moi, s’il donne autant de licence à sa langue avec les femmes de mon pays que ces temps de pèlerinage peuvent amener ici, l’une ou l’autre pourra bien le jeter dans la cataracte que l’on voit là-bas. — Pardonnez-moi, belle dame, reprit Agelastès, aucune femme ne pourrait méditer une action si atroce contre un aussi bel homme que le césar Nicéphore Brienne. — Ne vous imaginez pas cela, mon père, » répliqua la comtesse offensée ; « car, par ma sainte patronne, Notre-dame des Lances rompues, si ce n’eût été pour ces deux dames, qui paraissaient vouloir montrer quelque respect à mon mari et à moi, ce même Nicéphore fût devenu un seigneur des Os rompus, tout aussi bien qu’aucun césar qui ait porté ce titre depuis le grand Jules. »

Le philosophe, à cette confidence explicite, commença à ressentir quelque crainte pour lui-même ; il se hâta, en détournant la conversation (ce qu’il lit avec beaucoup de dextérité), d’entamer l’his-