Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 24, 1838.djvu/176

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comte, et nous apprendrons à ces Orientaux à juger de l’épée d’un chevalier par un seul coup de mon fidèle tranchefer. — Et qui sait, ajouta Brenhilda, puisque cette contrée est un pays d’enchantement, si quelque victime qui languit sous une forme étrangère ne pourrait pas voir l’enchantement qui l’y retient soudainement rompu, par un coup de cette bonne lame ? — N’en dites pas davantage, mon père ! s’écria le comte. Nous accompagnerons cette princesse, puisque tel est son titre, quand même toute sa garde se mettrait en devoir de s’opposer à notre passage, au lieu de nous servir d’escorte. Apprenez ceci, vous qui m’écoutez ; telle est la nature d’un Franc : plus vous lui parlez de dangers et de difficultés, plus vous augmentez son désir de les affronter ; car de même que les autres hommes recherchent le plaisir et le bien-être dans les sentiers qu’ils parcourent, de même les Francs recherchent les périls ! »

En prononçant ces mots, le comte frappa de la main sur son tranchefer, comme pour donner une idée de la manière dont il se proposait, dans l’occasion, de se frayer un passage. Le cercle impérial tressaillit au bruit de l’acier, et devant le regard de feu du chevaleresque comte Robert. L’impératrice, cédant à la terreur, se retira dans l’appartement intérieur du pavillon.

Avec une grâce qu’elle daignait rarement employer avec tout autre qu’avec ceux qui se trouvaient étroitement alliés à la famille impériale, Anne Comnène prit le bras du noble comte. « Je vois, dit-elle, que notre mère impériale a honoré la maison du savant Agelastès, en montrant le chemin : en conséquence, c’est à moi qu’il est réservé de vous faire connaître la politesse grecque. » En parlant ainsi, elle le conduisit dans l’appartement intérieur.

« Ne craignez point pour votre épouse, » dit-elle en s’apercevant que le Franc regardait autour de lui ; « notre époux, de même que nous, se fait un plaisir de montrer des égards aux étrangers, et conduire la comtesse à notre table. Il n’est point dans l’habitude de la famille impériale de manger dans la compagnie d’étrangers, mais nous remercions le ciel de nous avoir enseigné cette politesse qui ne voit point de dérogation à s’affranchir de la règle ordinaire pour honorer des personnes de votre mérite. Je sais que la volonté de ma mère sera que vous preniez place sans cérémonie ; et je suis sûre aussi, quoique la faveur soit un peu particulière, qu’elle aura l’approbation de l’empereur mon père. — Qu’il en soit comme Votre Seigneurie l’entendra, répondit le comte Robert. Il y a peu d’hommes à qui je voulusse céder la place à table, s’ils n’avaient