Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 24, 1838.djvu/168

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race dont la destinée est si singulièrement malheureuse ? J’avais cru jusqu’ici les histoires d’hommes noirs aussi peu fondées que celles de fées et d’esprits que racontent les ménestrels. — Ne croyez pas cela, répondit le philosophe, leur race est aussi nombreuse que les grains de sable de la mer, et ils ne sont pas tout-à-fait malheureux en s’acquittant des devoirs que le destin leur a imposés. Ceux qui sont d’une nature mauvaise souffrent même en cette vie le châtiment dû à leurs crimes. Ils deviennent les esclaves de gens cruels et de tyrans, ils sont battus, mal nourris et mutilés. Ceux dont le moral est meilleur trouvent de meilleurs maîtres, qui partagent avec leurs esclaves, comme avec leurs enfants, la nourriture, les vêtements, et tous les biens dont ils jouissent eux-mêmes. À quelques uns le ciel accorde la faveur des rois et des conquérants ; à un plus petit nombre, mais ce sont les véritables favoris de l’espèce, il assigne une place dans les demeures de la philosophie, où, en profitant des lumières que leurs maîtres peuvent leur donner, ils parviennent à pénétrer d’avance dans cet autre monde, où réside le vrai bonheur. — Je crois vous comprendre, répliqua la comtesse, et je devrais plutôt porter envie à notre ami noir qu’avoir pitié de lui, puisqu’il lui a été accordé de trouver un tel maître, de qui sans doute il a pu acquérir les connaissances désirables dont vous parlez. — Il apprend du moins, » répondit Agelastès avec modestie, « tout ce que je puis enseigner, et surtout à être content de son sort… Diogène, mon cher enfant, » dit-il en s’adressant à l’esclave, « tu vois que j’ai compagnie. Que renferme le buffet du pauvre ermite qu’il puisse offrir à ses honorables hôtes ? »

Ils n’avaient encore pénétré que dans une espèce d’antichambre ou salle d’entrée, dont l’ameublement n’offrait pas plus de recherche ni de luxe que n’aurait voulu en mettre un simple particulier pour faire de cet ancien édifice une demeure sans faste. Les chaises et les sophas étaient couverts de nattes tressées en Orient, de la forme la plus simple et la plus primitive. Mais, en touchant un ressort, le philosophe ouvrit un appartement intérieur qui avait de grandes prétentions à la splendeur et à la magnificence.

Les meubles et les tentures de cet appartement étaient de soie couleur de paille, fabriquée en Perse, et chargée de broderies qui produisaient un effet aussi riche que simple. Le plafond était sculpté en arabesques, et, aux quatre coins de la pièce, se trouvaient des niches qui contenaient des statues produites dans un temps où l’art était plus florissant qu’à l’époque de notre histoire. Dans l’une, un