Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 24, 1838.djvu/161

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plus braves chevaliers qui montèrent jamais un coursier de tenter la délivrance de votre princesse enchantée ; mais la vérité est que dans notre pays, où la chevalerie et l’honneur se réunissent pour ne permettre qu’une seule amante, qu’une seule épouse, nous ne voyons pas tout-à-fait volontiers nos maris s’exposer aux dangers… surtout quand il s’agit d’aller au secours de dames solitaires… et… et que des baisers sont la rançon qu’elles leur payent. J’ai autant de confiance en la fidélité de mon Robert qu’une dame peut en avoir en celle d’un chevalier chéri ; mais néanmoins… — Aimable dame, » interrompit Agelastès, qui, malgré le caractère insensible qu’il s’était fait, ne put s’empêcher d’être ému par l’affection simple et sincère de ce jeune et beau couple, « vous n’avez rien fait de mal. L’état de la princesse n’est pas pire qu’il était, et il n’est pas douteux que le chevalier qui la doit délivrer ne paraisse à l’époque marquée par le destin. »

La comtesse sourit tristement et secoua la tête. « Vous ne savez pas, reprit-elle, combien est puissante l’assistance dont j’ai malheureusement privé cette pauvre princesse, par une jalousie qui n’est pas moins injuste qu’indigne, comme je le sens à présent ; et tel est mon regret, que je pourrais trouver dans mon cœur la force de lever l’opposition que j’avais mise à ce que Robert entreprît cette aventure. » Elle regarda son mari avec quelque inquiétude, comme si elle eût fait une proposition qu’elle n’eût pas été contente de voir accepter, et ne recouvra son courage que lorsque le comte eut dit d’un ton décidé : « Brenhilda, je ne veux point aller à Zulichium. — Alors, pourquoi Brenhilda ne tenterait-elle pas elle-même l’aventure, répliqua la comtesse, puisqu’elle ne peut craindre ni les charmes de la princesse, ni les terreurs du dragon ? — Madame, répondit Agelastès, la princesse doit être éveillée par un baiser d’amour et non d’amitié. — Raison suffisante, » répliqua la comtesse en souriant, « pour qu’une dame ne se soucie pas que son seigneur et maître entreprenne une aventure qu’on ne peut accomplir qu’à de telles conditions. »

« Noble ménestrel, ou héraut, ou quelque nom qu’on vous donne en ce pays, dit le comte Robert, acceptez une légère récompense pour une heure agréablement passée, mais malheureusement passée en vain. Je devrais m’excuser de la modicité de mon offrande, mais les chevaliers français, comme vous pouvez l’avoir déjà remarqué, sont mieux munis de renommée que de richesses. — Un pareil motif, noble seigneur, répliqua Agelastès, ne me ferait pas