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ter un moment, le Franc s’assit sur le trône vacant de l’empereur, étendit son corps robuste à demi armé sur les coussins dorés destinés à Alexis, et se mit à caresser nonchalamment un grand chien-loup qui l’avait suivi, et qui, aussi peu intimidé que son maître, se coucha sur les tapis de soie et les damas brochés d’or qui tapissaient l’estrade du trône impérial. Le chien s’y alongea avec hardiesse et d’un air d’insolence, comme pour témoigner qu’il ne respectait personne, excepté le farouche chevalier qui s’appelait son maître.

Comme l’empereur revenait de la courte excursion qu’il avait faite en faveur de Bohémond, il vit avec étonnement son siège occupé par l’insolent Français. Les bandes varangiennes à demi sauvages n’auraient pas hésité un instant à punir cette insulte, en renversant du trône l’audacieux qui n’avait pas craint de s’y asseoir, si elles n’eussent été retenues par Achille Tatius et par d’autres officiers qui, ne pouvant deviner ce que l’empereur ferait, n’osaient prendre eux-mêmes une résolution.

Cependant le chevalier peu cérémonieux éleva la voix, et, malgré son accent provincial, ses paroles purent être comprises de tous ceux qui connaissaient la langue française, tandis que ceux mêmes qui ne l’entendaient pas purent en deviner le sens au ton et aux gestes dont il les accompagnait. « Quel est le manant, dit-il, qui est resté paisiblement assis comme un bloc de bois ou un fragment de rocher, lorsque tant de nobles chevaliers, la fleur de la chevalerie et le modèle de la valeur, se tiennent découverts et debout au milieu des Varangiens trois fois vaincus ? »

Une voix profonde et sonore, qui paraissait sortir du sein de la terre, tant ses accents ressemblaient à ceux d’un autre monde, répliqua : « Si les Normands désirent combattre les Varangiens, ils peuvent les rencontrer dans la lice homme contre homme, sans faire la pauvre fanfaronnade d’insulter l’empereur de la Grèce, qui, comme on sait, ne se bat qu’au moyen des haches d’armes de ses gardes. »

La surprise fut si grande lorsqu’on entendit cette réponse, qu’elle se communiqua jusqu’au chevalier qui l’avait provoquée par son insulte envers l’empereur ; et, au milieu des efforts d’Achille Tatius pour retenir ses soldats dans les bornes de la subordination, de hauts murmures semblaient annoncer qu’ils n’y resteraient pas long-temps. Bohémond revint à travers la foule avec une rapidité qui ne convenait pas aussi bien à la dignité d’Alexis, et, prenant le croisé par le bras, il l’obligea, en recourant toutefois à la force et