Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 24, 1838.djvu/129

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long-temps ; au seul nom de Bertha, tu sens remuer dans ton cœur mille émotions que, dans ton ignorance, tu avais crues renfermées à jamais, comme les dépouilles des morts dans un tombeau. Tu tressailles et changes de couleur… Je me réjouis de voir que la fermeté et le courage indomptable que les hommes t’attribuent ont laissé les avenues du cœur aussi ouvertes que jamais aux affections douces et généreuses, en les prémunissant contre la crainte, l’incertitude et toute la vile tribu des basses sensations. J’ai dit que je t’estimais, et je n’hésite pas à te le prouver. Je vais rapprendre, si tu désires le connaître, le destin de cette Bertha, dont tu as conservé le souvenir au fond du cœur, en dépit de toi-même, au milieu des fatigues du jour et du repos de la nuit, dans les combats et pendant la trêve, lorsque tu te livrais avec tes compagnons à de nobles exercices, ou que tu cherchais à connaître les beautés de la littérature grecque ; et si tu veux faire de nouveaux progrès dans cette connaissance, je puis t’en faciliter les moyens. »

Pendant qu’Agelastès parlait ainsi, le Varangien recouvra à peu près son sang-froid, et répondit, quoique sa voix fût légèrement tremblante :

« Qui tu es, je ne sais… ce que tu me veux, je ne puis le dire… par quels moyens tu es parvenu à savoir des choses qui m’intéressent tant, moi, et qui intéressent si peu les autres, je ne le conçois pas ; mais ce que je sais, c’est qu’avec intention ou par hasard, tu as prononcé un nom qui remue toutes les fibres de mon cœur : cependant je suis chrétien et Varangien, et jamais je ne manquerai volontairement de fidélité, ni à mon Dieu ni à mon prince adoptif. Ce qui doit être fait par des idoles ou de fausses déités doit être une trahison contre la divinité véritable. Il n’est pas moins certain que tu as décoché quelques flèches contre l’empereur lui-même, quoique la fidélité te le défende rigoureusement. Désormais donc, je refuse toute communication avec toi, tant pour le bien que pour le mal. Je suis soldat aux gages de l’empereur ; et, quoique je n’affecte pas ce bel étalage de respect et d’obéissance qui sont exigés avec tant de subtiles distinctions, et sous tant de formes différentes, cependant je suis son défenseur, et ma hache d’armes est son garde du corps. — Personne n’en doute, répliqua le philosophe ; mais n’es-tu pas tenu à une soumission plus grande envers l’Acolouthos Achille Tatius ? — Non : il est mon général d’après les lois militaires ; il s’est toujours montré bon et bienveillant à mon égard, et, sauf les privilèges que lui donne son rang, il s’est toujours conduit