Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 24, 1838.djvu/121

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ne saurez pas davantage ce que son maître lui a défendu de dire. Une courte marche peut préserver votre honneur de cette tache, vous épargner à vous la peine de battre ce qui ne peut résister, et à moi le désagrément d’endurer ce que je ne puis ni rendre ni éviter. — Guide-moi donc, reprit le Varangien ; sois certain que tu ne te joueras pas de moi par tes belles paroles, et qu’il faut que je connaisse la personne qui a l’impudence de contrôler mes actions. »

Le nègre marcha devant en lançant un coup d’œil particulier à sa physionomie, que l’on pouvait attribuer ou à de la malice, ou simplement à un mouvement de bonne humeur. Le Varangien le suivit, en concevant quelques soupçons, car il avait eu peu de rapports avec la race infortunée des Africains, et n’avait pas entièrement surmonté le sentiment de surprise avec lequel il les avait d’abord considérés, lorsqu’il était arrivé du Nord. L’esclave se retourna si souvent pour le regarder, et d’un air si pénétrant et si scrutateur, que Hereward sentit renaître irrésistiblement en lui les préjugés qui attribuaient aux démons la couleur noire et les traits contrefaits de son conducteur. Le lieu vers lequel on le dirigeait fortifiait une idée qu’il n’était pas étonnant de voir s’offrir à l’esprit de l’ignorant et belliqueux insulaire.

Le nègre le conduisit, des magnifiques promenades en forme de terrasses que nous avons décrites, par un sentier qui descendait sur le rivage de la mer. À leurs yeux s’offrit un emplacement qui, loin d’être orné comme les autres parties de la côte de quais ou de promenades, paraissait au contraire négligé et abandonné, et était couvert de ruines antiques là où elles n’avaient pas été cachées par la riche végétation du climat. Ces fragmens d’édifice, occupant une espèce de renfoncement de la baie, étaient cachés des deux côtés par l’escarpement du rivage, et quoique en réalité ils fissent partie de la ville, cependant on ne pouvait les apercevoir d’aucun point de Constantinople. Enfoncés comme nous les avons déjà dépeints, ces débris ne laissaient échapper aucune vue des églises, des palais, des tours et des fortifications, au milieu desquels ils étaient enfouis. Ce site solitaire et désolé, encombré de ruines et couvert de cyprès et d’autres arbres, placé au milieu d’une cité populeuse, avait en lui quelque chose d’imposant et de sinistre pour l’imagination. Ces ruines étaient d’une date ancienne, et rappelaient le style d’un peuple étranger. Les restes gigantesques d’un portique, les fragmens mutilés de statues colossales, exécutés dans des attitudes et avec un goût si étroits et si barbares, qu’ils formaient un contraste