Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 24, 1838.djvu/109

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plus basse condition ; mais il était d’une exacte propreté, comme si l’intention de celui qui le portait eût été de montrer sa pauvreté ou de l’indifférence et du mépris pour la toilette, évitant en même temps tout ce qui aurait pu offrir quelque chose de négligé, de sale ou de repoussant. — Par sainte Sophie, tu me confonds ! le prophète Balaam ne fut pas plus surpris lorsque son âne retourna la tête et lui parla… Et qu’as-tu encore remarqué concernant cet homme ? Je vois que ceux avec qui tu te trouves ont besoin de prendre garde à tes observations tout autant qu’à ta hache d’armes. — S’il plaît à Votre Valeur, nous autres Anglais nous avons des yeux aussi bien que des mains ; mais ce n’est que pour nous acquitter d’un devoir que nous permettons à notre langue de s’exercer sur ce que nous avons observé. J’ai remarqué peu de chose dans la conversation de cet homme ; mais, d’après ce que j’ai entendu, il me semblait ne pas être éloigné de vouloir faire ce que nous appelons le bouffon ou le paillasse dans la conversation ; rôle qui, vu l’âge et la physionomie de cet homme, n’est pas naturel, je le pense du moins, mais joué dans quelque intention profondément calculée. — Hereward, tu viens de parler comme un ange envoyé ici-bas pour sonder le cœur des hommes. Cet Agelastès est une contradiction telle que la terre en a rarement produit de semblable. Possédant toute la pénétration qui anciennement faisait confondre les sages de cette nation avec les dieux eux-mêmes, Agelastès a toute la ruse du premier Brutus, qui déguisait ses qualités sous l’extérieur d’un bouffon. Il paraît ne rechercher aucune charge ; il ne prétend à aucune considération ; il ne se montre à la cour que lorsqu’il en est positivement requis : néanmoins, que dirai-je, mon brave soldat, d’une influence obtenue sans aucun effort apparent, et s’étendant pour ainsi dire jusqu’à l’intérieur des pensées des hommes, qui paraissent agir selon ses désirs, sans qu’il les en sollicite ? On rapporte d’étranges choses sur ses communications avec d’autres êtres que nos pères honoraient par des prières et des sacrifices. Je suis résolu cependant de connaître la route par laquelle il gravit si haut et si aisément vers le point où tout le monde aspire à la cour, et il y aura bien du malheur s’il ne partage pas son échelle avec moi, ou si je ne la lui arrache pas de dessous les pieds. C’est toi, Hereward, que j’ai choisi pour m’aider dans cette affaire, comme les chevaliers, parmi ces Francs infidèles, choisissent, lorsqu’ils partent pour chercher aventure, un écuyer vigoureux, ou un compagnon d’un rang inférieur, afin de partager avec lui les dangers et la récompense ; et j’y suis