Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 24, 1838.djvu/108

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patiemment ces réflexions, même de la part d’un supérieur militaire. »

Achille avait la pénétration nécessaire à un homme dans sa situation. Il ne poussait jamais à bout les esprits fougueux qu’il commandait, et ne se permettait jamais aucune liberté avec eux au delà de ce que leur patience pouvait endurer. Hereward était un favori, et avait du moins une amitié et des égards sincères pour son commandant. Lors donc que l’Acolouthos, au lieu de se fâcher de son audace, s’excusa d’un ton amical d’avoir heurté ses sentiments, le mécontentement passager qui avait régné entre eux disparut aussitôt. L’officier regagna sur-le-champ son autorité, et le soldat reprit, en poussant un profond soupir donné à quelque souvenir lointain, sa réserve et son silence accoutumés. Au fait, l’Acolouthos avait sur Hereward des projets ultérieurs, dont il ne voulait lui donner pour le moment qu’une idée fort éloignée.

Après une longue pause durant laquelle ils approchaient des casernes, bâtiment sombre et fortifié, construit pour y loger les gardes du corps, le capitaine dit à son subordonné de se rapprocher de lui, et lui adressa les mots suivants d’un ton confidentiel : « Hereward, mon ami, quoiqu’il ne soit guère à supposer qu’en présence de la famille impériale tu aies remarqué personne qui ne fût pas de son sang, ou plutôt, comme le dit Homère, qui ne participât point du divin ichor[1] qui, dans leurs personnes sacrées, remplace ce fluide vulgaire ; néanmoins, durant une audience si longue, tu pourrais, en raison de sa personne et de ses vêtements assez extraordinaires à la cour, avoir distingué Agelastès, que nous autres courtisans nous appelons l’Éléphant, vu la rigueur avec laquelle il observe la règle qui défend à qui que ce soit de s’asseoir ou de s’appuyer en présence de l’empereur. — Je crois, répliqua le soldat, que j’ai remarqué l’homme dont vous voulez me parler. Son âge était d’environ soixante-dix ans, c’était un homme gros et replet… et sa tête, entièrement chauve, était largement contrebalancée par une énorme barbe blanche, qui descendait en boucles ondoyantes sur sa poitrine, et se prolongeait jusqu’à la serviette qui lui ceignait les reins, en place de la ceinture de soie que portent les personnages d’un haut rang. — Très exactement observé, mon Varangien. Qu’as-tu encore remarqué sur cette personne ? — Son manteau était d’une étoffe aussi grossière que ceux des gens de la

  1. Espèce de sang qu’Homère attribue aux dieux : ού γὰρ σἴτον ἔδους’, οὺ πινουσ’αἲθοπα οἲνον, etc., Iliade, chant V, v. 341.