Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 24, 1838.djvu/101

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leur résidence après la mort. À la nuit close, ces pêcheurs sont à tour de rôle appelés à remplir le devoir qui parait leur valoir la permission d’habiter cette côte effrayante. On entend à la porte de la cabane de celui qui est de tour pour ce singulier service un coup qui n’est point frappé par une main mortelle. Un chuchotement, semblable au léger bruit de la brise mourante, appelle le batelier à son devoir. Il se hâte de gagner le point du rivage où se trouve sa barque, et ne l’a pas plus tôt lancée, qu’il la voit s’enfoncer sensiblement dans l’eau, par le poids des morts dont elle est remplie. On n’aperçoit aucune forme, et quoiqu’on entende des voix, les accents en sont aussi confus que ceux d’une personne qui parle dans le sommeil. Il traverse ainsi le détroit entre le continent et l’île, saisi de la terreur mystérieuse qui s’empare des vivants lorsqu’ils ont le sentiment de la présence des morts. Il arrive sur la côte opposée où les roches de craie blanche forment un vif contraste avec l’éternelle obscurité de l’atmosphère. Là, les bateliers s’arrêtent à un lieu de débarquement indiqué, mais ils ne descendent point, car cette terre n’est jamais foulée par les pieds des vivants. Le bateau se trouve allégé par degrés du poids des ombres qui ont fait la traversée, et qui suivent dans l’île la route qui leur est tracée, tandis que les mariniers retournent vers le côté du détroit qui leur est assigné, ayant achevé pour cette fois ce singulier service, en échange duquel ils jouissent de leurs cabanes de pêcheurs et de leurs autres possessions sur cette côte. » Ici il s’arrêta, et l’empereur répliqua.

« Si cette légende est réellement rapportée par Procope, très savant Agelastès, elle montre que ce célèbre historien se rapprochait plus des croyances païennes que de celles des chrétiens sur la vie future. À vrai dire, ce n’est guère là que la vieille fable du Styx. Procope, nous pensons, vivait avant la décadence du paganisme, et comme nous serions très disposés à ne point ajouter foi à beaucoup de circonstances qu’il nous rapporte touchant notre aïeul et prédécesseur Justinien, de même nous n’aurons pas grande confiance en lui à l’avenir en fait de connaissances géographiques. En attendant qu’as-tu donc Achille Tatius, et pourquoi parles-tu tout bas à ce soldat ? — Ma tête, répondit Achille Tatius, est à la disposition de Votre Altesse impériale, prête à expier l’inconvenante offense que j’ai commise. Je demandais seulement à cet Hereward, ici présent, ce qu’il savait à ce sujet ; car j’ai entendu plusieurs fois mes Varangiens s’appeler Anglo-Danois, Normands, Bretons, ou s’assigner quelques autres épithètes barbares semblables, et je suis sûr que