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quait jamais, disait-il, l’occasion de faire affaires, c’est-à-dire de placer les marchandises du patron et d’augmenter les honoraires de la commission. Il avait fureté à travers la file des appartements, sans trouver la moindre occasion de lâcher un mot sur ce qu’il considérait comme le but principal de son existence. L’histoire même de l’assassinat de Rizzio ne fit naître aucune pensée chez cet émissaire du commerce, jusqu’au moment où la concierge, en preuve de son récit, attira son attention sur les taches d’un sang noir qu’on voyait sur le plancher[1].

« Voilà les taches ; rien ne les ôtera jamais de là, elles y sont depuis deux cent cinquante ans, et y resteront tant que le plancher subsistera ; ni l’eau ni rien autre chose ne les fera jamais disparaître. »

Or notre badaud, entre autres articles, vendait une essence détersive, et une tache qui durait depuis deux cent cinquante ans était chose intéressante pour lui, non parce que c’était le sang du favori d’une reine, tué dans son appartement, mais parce que l’occasion était belle pour faire voir l’efficacité de son incomparable élixir. Voilà notre homme à genoux ; mais ce n’était ni par horreur ni par dévotion.

« Deux cent cinquante ans ! madame ; et rien ne peut les enlever ? Ma foi, y fussent-elles depuis cinq cents, j’ai quelque chose dans ma poche qui les fera partir en cinq minutes. Voyez-vous cet élixir ! madame ; vous allez voir que la tache disparaîtra dans un instant. »

En conséquence, mouillant une corne de son mouchoir avec le détersif universel, il se mit à frotter les planches, sans entendre les remontrances de mistress Policy. Elle, la bonne âme ! demeura d’abord ébahie d’étonnement, comme l’abbesse de Sainte-Brigitte, quand un profane visiteur avala la fiole d’eau-de-vie qu’on avait long-temps gardée parmi les reliques du couvent pour les larmes de la bienheureuse sainte : la Vénérable supérieure de Sainte-Brigitte attendait probablement l’intervention de sa patronne. Celle d’Holy-Rood espérait, peut-être, que le sceptre de David Rizzio se lèverait pour empêcher cette profanation. Néanmoins mistress Policy ne resta pas long-temps dans le silence de l’horreur : elle éleva la voix, et cria aussi fort que la reine Marie elle-même quand s’accomplissait la terrible tragédie.

  1. Rizzio, musicien piémontais, favori de Marie Stuart, fut égorgé devant cette reine, une nuit de l’an 1560, par quatre de ses courtisans et par son époux secret Darnley. a. m.