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« Il y a des temps où les montagnards se cachent comme leurs daims ; oui, et où ils courent aussi vite pour échapper au péril. Je les ai vus moi-même agir de la sorte. — Et il fut des temps, répliqua Simon, où le roi Arthur et sa Table Ronde n’auraient pu leur résister. Je souhaiterais, Henri, que vous parlassiez avec plus de respect des montagnards ; ils viennent souvent à Perth, soit seuls, soit par troupes, et il vous faut rester en paix avec eux aussi long-temps qu’ils resteront en paix avec vous. »

Un défi était sur les lèvres d’Henri ; mais il le retint prudemment.

« Mais vous savez bien, père, » dit-il en riant, « que, nous autres artisans, nous aimons mieux les gens qui nous font vivre. Or, dans mon état, je fournis les vaillants et nobles chevaliers, les beaux écuyers et les jolis pages, les fiers hommes d’armes et tant d’autres qui portent les armes que nous fabriquons ; il est donc naturel que je préfère les Ruthvens, les Lindsay, les Ogilvys, les Oliphants et tant d’autres de nos braves et nobles voisins qui sont couverts d’armes de ma fabrique, comme autant de paladins, à ces montagnards nus, qui ne cherchent qu’à nous faire du mal, surtout depuis qu’ils ne sont plus cinq dans chaque clan qui ait une cotte de mailles rouillée aussi vieille que leur brattach[1]. Encore ces cottes ne sont-elles forgées que par l’armurier mal habile du clan, qui n’est pas membre de notre honorable confrérie, mais qui travaille tout bonnement à l’enclume où son père a travaillé avant lui. Je soutiens que de telles gens ne peuvent être vus d’un bon œil par un honnête artisan. — Bien ! bien ! répondit Simon ; mais, de grâce, laisse là ce sujet, car voici notre jeune paresseux ; et, quoique ce soit un matin de fête, je ne veux pas davantage de poudding au sang. »

Le jeune montagnard entra donc. Il avait la figure pâle, les yeux rouges ; et l’on voyait dans toute sa personne un air de malaise. Il alla s’asseoir au bas bout de la table, vis-à-vis Dorothée, et se signa comme pour se préparer à son repas du matin. Comme il ne s’attaquait lui-même à aucun plat, Catherine lui présenta une assiette avec quelques-uns des gâteaux qui avaient obtenu l’approbation générale. D’abord il rejeta son offre d’un air bourru ; mais lorsqu’elle lui en offrit une seconde fois avec un sourire de bonne humeur, il prit un gâteau, le cassa, et en mâcha un mor-

  1. Étendard. a. m.