Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 23, 1838.djvu/61

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opinion au-dessus de mon mérite ; et ce qui semble si aisé et si certain, je le trouve aussi difficile que de fabriquer un haubert d’acier avec des étoupes. Mais à votre santé, père, » ajouta-t-il d’un ton plus gai ; « a la santé de ma jolie sainte et de ma Valentine ; car j’espère que votre Catherine sera la mienne pour la saison. Que je n’éloigne pas plus long-temps votre vieille tête de l’oreiller ; allez revoir votre lit de plumes jusqu’au jour, alors vous me conduirez à la porte de la chambre de votre fille, et votre présence m’excusera quand j’y entrerai pour la prier de recevoir le bonjour du plus fortuné des hommes que le soleil éveillera dans cette ville et à plusieurs milles des environs. — L’avis n’est pas mauvais, mon fils, » dit l’honnête gantier ; « mais vous, qu’allez-vous faire ? Voulez-vous venir partager mon lit ou prendre la moitié de celui de Conachar ? — Ni l’un ni l’autre, répondit Henri Gow ; je ne ferais que vous empêcher de dormir, et pour moi ce fauteuil vaudra un lit de duvet, je sommeillerai comme une sentinelle avec mes armes auprès de moi. »

Et il porta la main à son glaive.

« Ah ! que le ciel nous garde d’avoir encore besoin de nos armes. Bonne nuit, ou plutôt bon jour, jusqu’au lever du soleil, et que le premier éveillé appelle l’autre. »

Ainsi se séparèrent les deux bourgeois : le gantier alla se coucher et on doit supposer qu’il dormit ; l’amant ne fut pas si heureux : la charpente de son corps supportait aisément la fatigue qu’il avait ressentie dans le cours de la nuit ; mais son esprit était d’une nature différente et plus délicate. Sous un rapport, Smith était le plus robuste bourgeois de son temps : également fier de son habileté à fabriquer les armes et à les manier quand elles étaient fabriquées ; sa jalousie contre ses confrères, sa force personnelle et une adresse à manier l’épée l’avaient entraîné dans bon nombre de querelles qui l’avaient généralement fait craindre et parfois haïr. Mais à ces qualités s’unissait le naturel doux et simple d’un enfant : un caractère plein d’imagination et d’enthousiasme qui semblait incompatible avec ses travaux de forgeron et ses combats. Peut-être néanmoins ces dispositions exaltées qu’il avait puisées dans de vieilles ballades ou dans des romans en vers, seule source de son savoir et de ses connaissances, l’avaient-ils en certaines occasions un peu poussé à quelques-unes de ces prouesses, qui avaient souvent une apparence chevaleresque. Il est certain que, dans son amour pour la jolie Catherine, il mon-