Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 23, 1838.djvu/377

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du plus profond secret, et que Catherine Glover arriverait le soir même à Falkland ou le lendemain matin, comptant bien se placer sous la protection de la noble dame.

Le duc, plongé dans ses réflexions, reçut cet avis si froidement, que Ramorny prit la liberté de lui faire une remontrance. « C’est jouer, lui dit-il, l’enfant gâté de la fortune. Vous désirez la liberté, elle vous arrive. Vous désirez une beauté, elle vous attend, tout juste dans le délai nécessaire pour rendre la faveur plus précieuse. Vos plus légers désirs même semblent une loi pour le destin ; vous demandez de la musique au moment où elle paraissait le plus éloignée, et le luth et la chanson se trouvent sous votre main. Il faut jouir de dons ainsi accordés, autrement on ressemble aux enfants gâtés qui brisent et rejettent loin d’eux les joujoux qu’ils n’ont obtenus qu’en pleurant. — Pour jouir du plaisir, Ramorny, répondit le prince, il faut avoir eu quelque peine, comme il faut jeûner pour avoir bon appétit. Nous qui avons tout à souhait, nous en jouissons peu quand nous le possédons. Vois-tu là-bas ce nuage épais, qui est prêt de tomber en pluie ? il me semble qu’il m’étouffe, les vagues me paraissent troubles et sombres ; les rivages ont perdu leur belle forme. — Pardon, milord ; mais vous vous abandonnez à votre vive imagination, comme un cavalier inhabile laisse un cheval fougueux se cabrer jusqu’à ce qu’il soit renversé et écrasé par sa monture. Je vous en prie, secouez cette léthargie. Faut-il que la chanteuse fasse un peu de musique ? — Oui, mais de la musique mélancolique : en ce moment les sons gais retentiraient mal à mon oreille. »

La jeune fille chanta une chanson mélancolique en français-normand. Les paroles, dont nous donnons l’imitation, étaient accompagnées d’un air non moins triste qu’elles :

Oui, tu peux aujourd’hui, de ton âme flétrie
Exhalant un soupir, voir encore une fois
El le ciel et la terre, et les eaux et les bois ;
Ta course est terminée, il faut quitter la vie.

Assieds-toi quand ton pouls bat avec plus d’effort ;
Qu’un prêtre à ton côté prononce sa prière,
Et que la cloche tinte un lent signal de mort :
Ta vie a fui, tu dois descendre dans la bière.

Ne sois point effrayé, ce n’est qu’un tremblement.
Un court accès de fièvre, et puis tout est de glace ;
Et de l’humanité s’arrête le tourment.
Car au sein de la mort tu vas prendre ta place.

Le prince ne fit aucune observation sur cette chanson ; et