Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 23, 1838.djvu/375

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ne puis oublier. — Eh bien ! je le dirai donc que j’ai scrupule de mener cette intrigue jusqu’au bout. Te souviens-tu, quand nous fîmes ensemble la folie d’aller écouter le père Clément, ou plutôt d’aller voir cette jolie hérétique, qu’il parla d’une manière aussi touchante qu’aurait pu le faire un ménestrel sur le riche qui enlève l’unique brebis du pauvre ? — Voilà une grande affaire, vraiment, répondit sir John ; quand le fils aîné de la femme de ce rustre aurait pour père le prince d’Écosse, combien de comtes envieraient un pareil sort pour leurs jolies comtesses ? et combien ont eu le même avantage qui n’en dorment pas plus mal ? — Et, si je puis me permettre de parler, dit Dwining, les anciennes lois d’Écosse accordaient ce privilège à tous les seigneurs sur leurs vassales, quoique, par lâcheté, ou par besoin d’argent, beaucoup l’eussent échangé contre une autre redevance. — Je n’ai pas besoin d’argument pour me déterminer à être galant auprès d’une jolie femme ; mais Catherine a toujours été très-froide avec moi, dit le prince. — Milord, si vous, jeune, beau et prince, vous ne savez pas comment réussir auprès d’une femme, je n’ai plus rien à vous dire. — Et si je pouvais, sans trop d’audace, prendre la parole une seconde fois, dit le médecin, je dirais que tout le monde sait à Perth que Gow Chrom n’a jamais été un amant du choix de la jeune fille, mais imposé par son père. Je sais de science certaine qu’elle l’a refusé à plusieurs reprises. — Ma foi, si tu peux nous affirmer cela, le cas est tout différent, dit Rothsay ; Vulcain était forgeron, comme Henri du Wynd, il voulut épouser Vénus, et nos chroniques nous disent ce qu’il en arriva. — Puisse donc lady Vénus vivre et être adorée long-temps, reprit sir John, et bon succès au galant chevalier Mars qui va faire la cour à sa divinité. »

La conversation prit en quelques minutes une tournure très-gaie ; mais le duc de Rothsay changea bientôt de ton : « J’ai laissé là-bas, derrière moi, dit-il, l’air de ma prison, et cependant ma gaieté a de la peine à renaître. J’éprouve cette sorte d’abattement mélancolique, sans être désagréable, où l’on tombe, quand on est épuisé par l’exercice, ou rassasié par le plaisir. Quelques airs de musique se glissant dans notre oreille, et d’un ton assez bas pour ne pas faire lever les yeux, seraient un amusement digne des dieux. — Votre Grâce n’a qu’à exprimer ses désirs, et les nymphes du Tay lui sont aussi favorables que les jolies nymphes de la terre. Écoutez, un luth ! — Un luth ! » dit le duc de Rothsay