Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 23, 1838.djvu/356

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une étrange oppression, et quelque désir de retourner chez moi boire un verre d’eau distillée. Mais en tournant les yeux je vis le digne Kempe de Kinfauns, bandant une grande arbalète, et je pensai que ce serait dommage qu’il perdît son trait contre un bon Écossais quand les Anglais étaient en présence. Je restai donc à mon poste, placé dans un angle assez favorable, formé par deux créneaux. Les Anglais s’avancèrent alors et tirèrent leurs arcs en les tenant, non pas comme vos montagnards à la hauteur de la poitrine, mais à la hauteur de leur oreille, et nous envoyèrent leurs volées de queues d’arondes avant que nous eussions le temps de crier Saint André ! Je fermai les yeux quand je les vis tirer leurs cordes, et je crois que je tressaillis quand j’entendis leurs flèches frapper contre le parapet. Mais regardant autour de moi, et ne voyant personne de blessé, si ce n’est John Squallit, le crieur de la ville, dont la mâchoire était traversée par une longue flèche, je repris courage, et je tirai à mon tour avec hardiesse et en visant bien. Un petit homme que je visai, et qui sortit un instant de derrière son bouclier, reçut une flèche dans l’épaule. Le prévôt cria : « Bien visé ! Simon Glover ! » Saint John ; pour la belle ville, mes braves compagnons ! criai-je à mon tour, quoique je ne fusse encore qu’apprenti. Et si vous voulez m’en croire, pendant tout le reste de l’affaire, qui se termina par la retraite des ennemis, je bandai mon arc, et lançai mes flèches avec autant de calme que si j’avais tiré au blanc. Je me fis quelque réputation, et j’ai toujours pensé depuis qu’en cas de nécessité, car ce n’eût jamais été par goût, je ne l’aurais pas perdue. C’est tout ce que je vous puis dire de mes exploits dans une bataille. J’ai couru d’autres dangers, que j’ai cherché à éviter en homme prudent ; et quand ils étaient inévitables, j’y ai fait face en homme de cœur : en agissant autrement, un homme ne peut vivre ou lever la tête en Écosse. — Je comprends cela, dit Éachin ; mais j’aurai plus de peine à vous faire croire ce que je vais vous dire, à vous, qui connaissez la race dont je descends, et surtout celui que nous avons aujourd’hui mis au tombeau. Il est heureux d’être dans un lieu où il n’apprendra jamais ce que vous allez entendre ! Regardez, mon père, la lumière que je porte se consume et pâlit, dans quelques minutes elle s’éteindra ; mais avant qu’elle expire, le mot honteux sera prononcé. Mon père, je suis… un lâche ! Le mot est dit enfin, et le secret de ma honte appartient à un autre ! »