Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 23, 1838.djvu/346

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et une poignée de mousse remplaçait la serviette ; comme dans un banquet de l’Orient, on se lavait les mains à chaque nouveau service. Pendant le repas, le barde chantait les louanges du chef défunt, et exprimait la confiance dans les vertus puissantes de son successeur. Quand le ménestrel se tut, le seanachie à son tour raconta la généalogie de la tribu, qu’il faisait remonter à la race des Dalriads[1] ; il y avait aussi dans la salle des joueurs de harpe qui égayaient les nobles convives, tandis que les joueurs de cornemuse réjouissaient la multitude au dehors. La conversation était grave, calme et polie. Aucun bon mot ne passa les bornes d’une plaisanterie agréable, et n’excita autre chose que le sourire ; aucune voix ne s’éleva au-dessus des autres, aucune discussion n’eut lieu, et Simon Glover avait entendu cent fois plus de bruit à un repas de corps, que n’en firent en cette occasion deux cents sauvages montagnards.

Les liqueurs elles-mêmes ne tirèrent point les convives de ce décorum de gravité : elles étaient de diverses espèces. Le vin était en très-petite quantité ; on ne le servait qu’aux principaux convives, et l’on fit à Glover l’honneur de le mettre de ce nombre. Le vin et les deux petits pains furent, il est vrai, les seules marques d’attention qu’il reçut pendant le festin. Mais Niel Booshalloch, jaloux de la réputation d’hospitalité de son chef, ne manqua pas de les lui faire remarquer comme des preuves de haute distinction. Les liqueurs distillées, dont l’usage est devenu depuis général chez les montagnards, étaient alors presque entièrement inconnues. L’usquebaugh circula en petite quantité, et il était tellement saturé d’une décoction de safran et d’autres herbes, qu’il ressemblait plutôt à une potion médicale qu’à une liqueur de festin. Le cidre et l’hydromel étaient servis en abondance ; mais l’ale, dont on avait brassé une grande quantité pour cette occasion, était la boisson générale ; cependant on en usa avec une modération que ne connaissent plus les Highlanders modernes. Une coupe à la mémoire du chef mort fut le premier toast porté solennellement, quand le banquet fut fini ; et on entendit de toute l’assemblée un murmure de bénédictions, tandis que les moines unissant leurs voix chantaient requiem œternam dona. Un silence inaccoutumé s’établit ensuite, comme si l’on attendait quelque chose d’extraordinaire ; et Éachin se leva avec un air mâle et fier, et ce-

  1. Rois d’Écosse venus de l’Irlande. a. m.