Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 23, 1838.djvu/220

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par lesquelles notre souverain maître modifie des attributs qui, autrement, nous rendraient trop semblables aux dieux !… Qu’en dites-vous, Éviot ? Voulez-vous être le fidèle serviteur qui boira pour la guérison de votre seigneur et comme son représentant ?… Consentez-y, et nous nous tiendrons obligés à partir, car il me semble que notre sujet a l’air d’un mort. — Je suis prêt à faire tout ce qui est en mon faible pouvoir pour empêcher mon maître d’accomplir une chose qui peut causer sa mort, et détourner de Votre Grâce les remords de l’avoir ordonnée. Mais voici un homme qui fera la prouesse de bonne volonté, et remerciera en outre Votre Altesse. — Qui avons-nous là ? dit le prince ; un boucher, et un boucher arrivant de l’abattoir ! Les bouchers travaillent-ils la veille du jeûne ? Ah ! comme il pue le sang ! »

Ces mots s’adressaient à Bonthron qui, stupéfait du tumulte qui retentissait dans la maison où il s’était attendu à trouver tout sombre et silencieux, et à moitié hébété par le vin qu’il avait bu, se tenait debout, sur le seuil de la porte, contemplant cette scène singulière. Son buffetin taché de sang et sa hache sanglante offraient un spectacle dégoûtant et horrible aux yeux des jeunes seigneurs débauchés, et sans pouvoir bien s’en rendre compte, la troupe entière éprouvait à la vue de cet homme une terreur inexprimable.

Lorsqu’on approcha la calebasse des lèvres de ce sauvage à mine hideuse et repoussante, et lorsque, pour la saisir, il étendit une main souillée de sang, le prince s’écria :

« À la cour ! Ne laissez pas ce misérable boire en ma présence ! Trouvez-lui quelque autre vase que notre sainte calebasse, emblème de nos réjouissances… Une auge à cochon conviendrait mieux, si on pouvait s’en procurer une. À la cour ! et noyez-le dans la liqueur, en expiation de la sobriété de son maître… Laissez-moi seul avec sir John Ramorny et son page ; sur mon honneur, les regards du chevalier m’épouvantent. »

L’escorte du prince sortit de l’appartement, et Éviot resta seul.

« Je crains, » dit le prince, s’approchant du lit avec des manières bien différentes de celles qu’il avait eues jusqu’alors, « je crains, mon cher sir John, que cette visite ne soit mal venue ; mais c’est votre faute. Quoique vous connaissiez notre vieille coutume, et quoique vous approuviez nos projets pour cette soirée, on ne vous a point vu depuis la Saint-Valentin… C’est aujourd’hui la veille du jeûne, et cette désertion est une vraie dé-