Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 23, 1838.djvu/179

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en passant devant votre porte, et je me hâtais d’aller avertir la force publique, quand j’ai aperçu une figure d’homme qui s’avançait lentement vers moi. Craignant qu’il ne fût du complot, je m’arrêtai derrière un des piliers de la chapelle de Saint-Jean, et reconnaissant alors Henri Smith, je me doutai du chemin qu’il suivait ; j’élevai donc la voix, et je lui adressai une exhortation qui lui fit doubler le pas. — Je vous en suis bien obligée, mon père ; mais tout cela et le langage que m’a tenu le duc de Rothsay, montrent que ce prince est un jeune débauché, qui ne se fera aucun scrupule d’en venir à toutes les extrémités qui pourront satisfaire une folle passion, aux dépens de l’objet de son amour. Son émissaire Ramorny a même eu l’insolence de me dire que si j’osais préférer l’état honorable de l’épouse d’un honnête homme à l’état infâme de la maîtresse d’un prince marié, mon père en supporterait la peine. Je ne vois donc d’autre alternative que de prendre le voile, ou de courir le risque de nous perdre, moi et mon pauvre père ! N’y eût-il pas d’autre raison, la frayeur que m’inspirent ces menaces d’un homme si malheureusement capable de tenir sa parole, doit autant m’empêcher de prendre un époux digne de lui, qu’elle m’empêcherait de déverrouiller sa porte pour faire entrer des assassins… Ô bon père ! quel sort est le mien ! et combien je puis devenir fatale à mon père chéri et à tous ceux que je puis allier à mon malheureux destin ! — Ne perdez pas encore courage, ma fille ; il vous reste une consolation dans votre détresse. Ramorny est un infâme, et trompe l’oreille de son maître. Le prince est malheureusement un jeune homme dissipé et fainéant ; mais, à moins qu’on n’en ait étrangement imposé à mes cheveux gris, son naturel commence à s’améliorer. Il s’est réveillé pour voir la bassesse de Ramorny, et il a regretté vivement d’avoir suivi ses mauvais conseils. Je suis même convaincu que sa passion pour vous a pris un caractère plus noble et plus pur, et que les leçons qu’il a reçues de moi sur la corruption de l’Église et du temps pénétreront, si vos lèvres les lui répètent, jusqu’au fond de son cœur, et peut-être produiront des fruits, au grand étonnement aussi bien qu’à la grande joie du monde. De vieilles prophéties disent que Rome tombera par les discours d’une femme. — Ce sont des rêves, mon père, des visions d’un homme dont les pensées sont trop absorbées par des choses meilleures, pour qu’il voie juste sur les affaires communes de la terre. Quand on a trop long-temps regardé le soleil, on ne peut plus