Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 21, 1838.djvu/61

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— C’est la vérité, reprit le Suisse ; car on faisait peu de vin dans le pays, et jamais on n’en importait du dehors, attendu que personne n’avait les moyens d’en acheter, non plus qu’aucun des objets que nos vallées ne produisaient pas. Mais nos guerres et nos victoires nous ont acquis autant de richesses que de renommée ; et dans la pauvre opinion d’un Suisse au moins, nous n’en aurions été que mieux sans fortune et sans gloire, si nous n’avions aussi du même coup conquis la liberté. C’est quelque chose pourtant que le commerce puisse de temps à autre envoyer dans nos montagnes ignorées un voyageur sensé comme vous, mon digne hôte, dont les discours font reconnaître un homme sagace et intelligent ; car, quoique je n’aime pas cette fureur toujours croissante pour ces colifichets et ces babioles que vous, marchands, vous introduisez chez nous, pourtant j’avouerai que nous autres, simples montagnards, nous apprenons mieux à connaître, grâce aux hommes de votre espèce, le monde qui nous environne, que nous n’y parviendrions jamais par nous-mêmes. Vous allez, dites-vous, à Bâle, et de là au camp du duc de Bourgogne ? — Oui, mon digne hôte ; pourvu du moins que je puisse achever mon voyage sans péril. — Vous n’en courrez aucun, mon cher ami, soyez-en bien sûr, si vous consentez à attendre deux ou trois jours, car alors je ferai moi-même le voyage, et avec une escorte qui éloignera toute chance de danger. Vous trouverez en moi un guide sûr et fidèle, et moi j’apprendrai par vous à mieux connaître les autres pays, car il m’importe d’en savoir sur ce chapitre-là plus long que je n’en sais. Est-ce un marché conclu ? — Cette proposition est trop à mon avantage pour être refusée ; mais puis-je vous demander quel est le but de votre voyage ? — Je viens de réprimander ce jeune homme pour avoir parlé des affaires publiques sans réflexion et devant toute la famille ; mais nos desseins et ma mission ne doivent point être nécessairement cachés à un personnage réfléchi comme vous, qui d’ailleurs les apprendriez bientôt par la rumeur publique. Vous connaissez sans doute la haine mutuelle qui existe entre Louis XI de France et Charles de Bourgogne, qu’on a surnommé le Téméraire ; et puisque vous avez visité ces pays, comme je puis le penser d’après vos discours, vous n’ignorez probablement pas les différentes contestations d’intérêt qui, outre la haine personnelle des souverains, les rend ennemis irréconciliables. Or, Louis qui n’a point son pareil au monde pour la ruse et l’adresse, emploie toute son influence, soit en distribuant de fortes sommes entre certains conseillers de nos voisins de Berne,