Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 21, 1838.djvu/52

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agneaux de la dernière saison broutaient en sécurité une herbe abondante, et dans d’autres, on laissait subsister des arbres énormes, production naturelle du sol, par des motifs de commodité, probablement afin qu’ils fussent sous la main, lorsque, pour les usages domestiques, on aurait besoin de bois de charpente ; et ces arbres donnaient en même temps un air boisé à un tableau qui, autrement, n’aurait eu qu’un aspect d’agriculture. À travers ce paradis obtenu au milieu des montagnes, on pouvait suivre le cours d’un petit ruisseau se montrant tantôt au soleil, qui cependant avait dissipé le brouillard, tantôt indiquant sa course par la pente douce de ses rives, ou se cachant sous les buissons de noisetiers et d’aubépine. Ce ruisseau, faisant un long et joli détour, qui semblait annoncer sa répugnance à quitter cette paisible région, sortait enfin du domaine particulier, et, comme un jeune homme, laissant les jeux gais et tranquilles de l’enfance pour s’élancer dans la carrière difficile de la vie active, finissait par se réunir à l’impétueux torrent qui, descendant avec fracas du haut des montagnes, se brisait d’abord contre la vieille tour de Geierstein en coulant à travers les rocs adjacents, puis se précipitait avec bruit dans le canal sur lequel notre jeune voyageur avait manqué perdre la vie.

Si empressé que fût le jeune Philipson de rejoindre son père, il ne put s’empêcher néanmoins de s’arrêter un moment pour admirer tant de beautés qui se trouvaient réunies au milieu de scènes si horribles, et pour jeter encore un coup d’œil sur la tour de Geierstein, ainsi que sur l’énorme rocher dont elle tirait son nom, comme pour vérifier, par la vue de ces objets bien reconnaissables, s’il était réellement dans le voisinage des lieux déserts et sauvages où il avait rencontré tant de périls et d’horreurs. Pourtant, si étroites étaient les limites de cette ferme bien cultivée, qu’il fallait à peine regarder en arrière pour se convaincre que l’endroit, susceptible d’industrie humaine, et qui semblait avoir coûté beaucoup de travail, n’était qu’un espace très resserré, en comparaison de l’immense désert où il était situé. Il était entouré de toutes parts par d’immenses montagnes formant, en certaines parties, des murailles de rochers, et, dans d’autres, revêtues de forêts noires et sauvages de pins et de mélèzes aussi vieux que le monde. Au dessus de l’éminence où la tour était placée, on pouvait voir la couleur presque rose que donnait un immense glacier aux rayons du soleil en les réfléchissant, et plus haut encore, par delà la surface dure de cette mer de glace, s’élevaient dans une silencieuse dignité les pâ-