Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 21, 1838.djvu/460

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qu’elles n’eussent pas reçu de renforts, devaient être néanmoins difficiles et longues à réduire. En outre, les Suisses n’étaient, comme la plupart des soldats nationaux de l’époque, qu’une espèce de milice. Presque tous retournèrent dans leurs foyers pour faire la moisson ou déposer leur butin en lieu de sûreté. Ferrand, quoique porté à poursuivre ses succès avec toute l’ardeur d’un jeune chevalier, ne put donc faire aucun nouveau mouvement avant le mois de décembre 1476. Pendant ce temps-là, les forces du duc de Bourgogne, pour être moins à charge au pays, étaient cantonnées dans les villes les plus éloignées de ses provinces, où tout était mis en œuvre pour perfectionner la discipline des nouvelles levées. Le duc, abandonné à lui-même, aurait précipité l’instant de la lutte en rassemblant de nouveau ses forces et en pénétrant sur le territoire helvétique. Mais, quoiqu’il écumât intérieurement de rage au souvenir de Granson et de Morat, la mémoire de ces désastres était trop récente pour permettre un pareil plan de campagne. Cependant les semaines se succédaient, et le mois de décembre était déjà fort avancé, lorsqu’un matin que le duc tenait conseil, Campo-Basso entra tout-à-coup, la physionomie animée d’un air de ravissement extraordinaire, qui différait singulièrement du sourire froid, régulier et fin, dénotant d’ordinaire ses plus grandes dispositions à la joie. « Guantes[1], dit-il, Guantes, pour ma bonne nouvelle, s’il plaît à Votre Altesse. — Quel est donc le bonheur qui nous arrive ? demanda le doc. Il me semble que la fortune a oublié le chemin de notre porte… — Elle y est pourtant revenue… avec la permission de Votre Altesse… portant sa corne d’abondance pleine des dons les plus précieux, et prête à verser ses fruits, ses fleurs, ses trésors sur la tête du souverain de l’Europe le plus digne de les recevoir. — Le sens de tout ceci ? s’écria le duc Charles ; les énigmes sont bonnes pour des enfants. — Le jeune fou, ce jeune écervelé de Ferrand, qui ajoute de Lorraine à son nom, s’est précipité du haut des montagnes à la tête d’une armée dérisoire de vagabonds comme lui ; et qu’en dites-vous ?… ah ! ah ! ah ! ils envahissent la Lorraine, et ont pris Nanci… ah ! ah ! ah ! — Sur ma bonne foi ! sire comte, » dit Contay, surpris de l’humeur gaie avec laquelle l’Italien traitait un événement si sérieux, « j’ai rarement entendu

  1. Guantes, mot employé par les Espagnols, comme les Français disent étrennes, et les Anglais handsell ou luckpenny, termes dont se servent les inférieurs envers leurs patrons pour leur annoncer de bonnes nouvelles. Handsell, veut dire étrenne, et luckpenny, sou de bonheur. a. m.