Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 21, 1838.djvu/450

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songer même, lorsque je vis prendre mes pièces et tuer mes fidèles canonniers. Mais en même temps j’aperçus le duc Charles vivement pressé. Prenant alors mon cheval, que me tenait mon page… toi aussi, tu as succombé, mon pauvre orphelin !… Je ne pus qu’aider monseigneur de la Croye et autres à dégager le duc. Notre retraite devint une vraie déroute ; et quand, nous rejoignîmes notre arrière-garde, que nous avions laissée dans une position très forte, les bannières suisses flottaient sur nos batteries, car un corps nombreux avait fait un long circuit dans les montagnes, par des défilés connus d’eux seuls, et attaqué notre camp, vigoureusement secondés par ce maudit Adrien de Babengerg, qui, en même temps, fit une sortie de la ville assiégée, de sorte que nos retranchements furent assaillis des deux côtés à la fois. Ce ne fut alors que fuite et massacre : défaite honteuse pour tout soldat qui prit part à cette bataille ! Pour moi, je confesse ma folle confiance en moi-même, mon insolence envers les hommes aussi bien que mes blasphèmes envers le Ciel. Si je survis, ce n’est que pour cacher ma tête dans un capuchon, et expier les péchés nombreux d’une vie licencieuse. »

Ce fut avec peine qu’on décida le malheureux guerrier à prendre un peu de nourriture et de repos, ainsi qu’un opiat que prescrivit le médecin du roi René, qui le recommanda comme nécessaire pour conserver la raison même du malade épuisé par les événements de la bataille et la fatigue du chemin.

Le comte d’Oxford, congédiant toute personne étrangère, veilla alternativement avec son fils au chevet de Colvin. Malgré la potion qui lui avait été administrée, son sommeil fut loin d’être tranquille. Des tressaillements soudains, la sueur qui découlait de son front, les tiraillements de sa figure, et la manière dont il fermait les poings et s’en frappait le corps, montraient que dans ses rêves il retrouvait encore les terreurs d’un combat sanguinaire et désespéré.

Cette agitation dura plusieurs heures ; mais vers midi, la fatigue et la médecine calmèrent toute agitation sérieuse, et le général vaincu tomba dans un profond repos qui dura jusqu’au soir. Vers le coucher du soleil il se réveilla, et, après avoir demandé avec qui et où il était, il prit des rafraîchissements ; et sans paraître se rappeler aucunement ce qu’il leur avait déjà dit, il leur détailla encore une fois toutes les particularités de la bataille de Murten.

On ne s’éloignera pas beaucoup de la vérité, dit-il, en calculant que la moitié des troupes du duc a péri par le fer ou est tombée dans le lac. Ceux qui échappèrent, débandés eu grande partie, ne