Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 21, 1838.djvu/429

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tagne dispersa la poussière, car ils avaient fait halte pour se préparer au combat. Oh ! cher Arthur, vous auriez donné dix ans de vie pour assister à un pareil spectacle. Il y avait des milliers de cavaliers tous armés de pied en cap, brillants au soleil, et des centaines de chevaliers avec des couronnes d’or et d’argent sur leurs casques, puis d’épaisses masses de lanciers à pied, et du canon, comme ils appellent cela. Je ne m’imaginais pas à quoi servaient ces lourdes machines pesamment traînées par des bœufs et placées en tête des colonnes ; mais je les connaissais un peu mieux après la matinée. Eh bien ! nous reçûmes l’ordre de nous former en un carré creux, et avant de marcher en avant on nous commanda, comme c’est chez nous la règle et la coutume de guerre, de nous mettre à genoux et de prier Dieu, Notre-Dame et les bienheureux saints ; et nous apprîmes ensuite que Charles, dans son arrogance, crut que nous demandions grâce… Ah, ah, ah ! la bonne plaisanterie ! si mon père plia une fois le genou, ce fut pour l’amour du sang chrétien et de l’heureuse paix ; mais sur un champ de bataille, Arnold Biederman n’eût jamais consenti à s’agenouiller devant lui et tous ses chevaliers, quand même il aurait eu à les combattre seul avec ses fils. Oui, mais Charles, supposant que nous demandions merci, était résolu à nous montrer que nous implorions un vainqueur impitoyable, car il s’écria : « Tirez mes canons sur ces lâches esclaves ; c’est toute la grâce qu’ils ont à attendre de moi. » Bang !… bang !… bang !… les machines dont je vous ai parlé partirent comme des coups de tonnerre précédés d’éclairs, et firent quelque mal, mais d’autant moins que nous étions agenouillés ; et les saints firent sans doute passer les énormes balles au dessus des têtes de ceux qui imploraient leur merci, non celle d’un être humain. Ce fut pour nous un signal de nous relever et de courir en avant, et je vous promets qu’il n’y eut pas de traînards. Chaque homme se sentait fort comme dix hommes. Ma hallebarde n’est pas un joujou d’enfant… si vous l’avez oublié… la voici… et pourtant elle pliait dans ma main, comme si c’eût été une branche de saule à chasser les vaches. Nous avancions, lorsque soudain le canon se tut ; mais la terre trembla d’un autre bruit sourd et prolongé, semblable à un tonnerre souterrain. C’étaient les hommes d’armes qui nous chargeaient ; mais nos chefs savaient leur métier et avaient déjà vu plusieurs fois un pareil spectacle. On cria : « Halte, halte !… À genoux, soldats du premier rang !… baissez-vous, guerriers du second !… appuyez-vous épaule contre épaule en frères !