Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 21, 1838.djvu/428

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que qui il était réellement. Eh bien ! arrivés à Neufchâtel, nous formions une fière compagnie. Nous étions quinze mille robustes confédérés, et les autres Allemands et Lorrains se montaient, je gage, à plus de cinq mille. On disait que l’armée du Bourguignon était forte de soixante mille hommes ; mais on disait en même temps que Charles avait pendu nos frères comme des chiens, et il n’y avait pas un homme parmi nous… je veux dire parmi les confédérés, qui se serait arrêté à compter les têtes quand il était question de les venger. J’aurais voulu que vous entendissiez les rugissements de quinze mille Suisses demandant à être conduits contre le boucher de leurs frères ! Mon père lui-même, qui, vous savez, est ordinairement si amateur de la paix, fut le premier alors à conseiller la bataille ; de sorte qu’à la pointe du jour nous descendîmes le lac vers Granson, les larmes aux yeux et nos épées en main, déterminés à mourir ou à nous venger. Nous arrivâmes dans une espèce de défilé entre Vauxmoureux et le lac ; Charles avait placé sa cavalerie sur le terrain uni entre la montagne et le lac, et un corps considérable d’infanterie sur le versant de la montagne. Le duc de Lorraine avec les hommes de sa suite attaqua la cavalerie pendant que nous gravîmes les hauteurs pour débusquer l’infanterie. Ce fut pour nous l’affaire d’un moment ; nous étions comme chez nous au milieu des rochers, et les soldats de Charles s’y trouvaient aussi embarrassés que tu l’étais, Arthur, lorsque tu vins pour la première fois à Geierstein ; mais il n’y avait pas de jeunes filles tout exprès pour leur tendre la main et les aider. Non, non… il y avait des piques, des gourdins et des hallebardes, en bon nombre, pour les percer et les précipiter de ces lieux où ils auraient à peine pu se tenir quand même personne ne serait venu les y troubler. Alors les cavaliers poussés par les Lorrains, en nous voyant sur leurs flancs, s’enfuirent de toute la vitesse de leurs chevaux ; alors nous nous réunîmes de nouveau dans une belle plaine, buon campagna, comme les Italiens disent, à l’endroit où les montagnes se retirent du lac. Mais à peine avions-nous repris nos rangs que nous entendîmes un tel bruit et un tel tintamarre d’instruments, un tel vacarme de leurs grands chevaux, de tels cris et de tels hurlements, qu’on aurait cru que tous les soldats et tous les ménestrels de France et d’Allemagne luttaient à qui ferait plus de tapage. Nous vîmes approcher un grand nuage de poussière, et nous comprîmes qu’il nous fallait vaincre ou mourir, car c’était Charles avec toute son armée qui venait soutenir son avant-garde. Une brise de la mon-