Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 21, 1838.djvu/419

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puis que Dieu m’a rendu père d’une si délicieuse enfant ?… Lève-toi, lève-toi, te dis-je… car c’est à moi de te demander pardon… En vérité, je disais dans mon ignorance et je pensais en moi-même que mon cœur m’avait bien inspiré… mais je t’ai fait de la peine : c’est donc moi qui te prie de me pardonner… » et le bon roi René tomba à deux genoux ; et le peuple, qui est ordinairement séduit par tout ce qui peut faire impression, applaudit avec fureur, et les éclats de rire furent bientôt réprimés : situation dans laquelle la royale fille et son père semblaient vouloir répéter une scène de la charité romaine.

Marguerite, extrêmement sensible à la honte, et se doutant bien que sa position présente était suffisamment ridicule, par sa publicité du moins, fit adroitement signe à Arthur, qu’elle aperçut dans la suite du roi, de venir à elle ; et, se servant de son bras pour se relever, elle lui dit tout bas à part et en anglais : « À quel saint dois-je me vouer pour conserver la patience dont j’ai si grand besoin ? — Par pitié, ma royale dame, rappelez votre fermeté d’âme et votre calme, » répondit à voix basse son écuyer, qui se trouva dans le moment plus embarrassé qu’honoré de ses éminentes fonctions, car il put remarquer que la reine tremblait réellement d’impatience et de dépit.

Ils reprirent enfin le chemin du palais, le père et la fille se donnant le bras, situation très agréable à Marguerite, qui pouvait prendre sur elle d’endurer les effusions de la tendresse du vieillard et le ton général de sa conversation, pourvu qu’il ne fût pas entendu par les autres. De même, elle supporta avec une louable patience les attentions fastidieuses qu’il lui prodigua à table, remarqua ses principaux courtisans, s’informa des autres, fit tomber la conversation sur ses sujets favoris, sur la poésie, sur la peinture et la musique, au point que le bon roi René fut autant ravi des politesses inaccoutumées de sa fille que le fut jamais un amant des aveux favorables de sa maîtresse quand, après plusieurs années d’une cour assidue, la glace de son cœur vient enfin à se fondre. Il en coûta à la hautaine Marguerite un grand effort pour se plier à jouer ce rôle… Son orgueil lui reprochait de descendre jusqu’à flatter les faibles de son père pour l’amener à la renonciation de ses domaines… Cependant, comme elle avait entrepris de le faire, comme elle avait déjà tant hasardé pour une descente en Angleterre, la seule chance de succès qui lui restât, elle ne voyait ou ne voulait pas voir d’autre parti à prendre.