Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 21, 1838.djvu/418

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

derniers mois de son existence avaient développé son intelligence et ses passions. Il était maintenant initié aux affaires réelles de la vie humaine, et il en regardait les amusements avec une sorte de mépris, de façon que, parmi la jeune et gaie noblesse qui composait cette joyeuse cour, il acquit le titre de jeune philosophe, titre qu’on ne lui donnait pas, on peut le supposer, dans l’intention de lui faire un compliment.

Le quatrième jour, il fut annoncé par un exprès que la reine Marguerite ferait son entrée dans la ville d’Aix à l’heure de midi, pour reprendre sa résidence dans le palais de son père. Le roi René parut, lorsque le moment approcha, craindre l’entrevue avec sa fille autant qu’il l’avait d’abord désirée, et communiqua à tous ceux qui l’entouraient sa profonde inquiétude. Il tourmentait son maître d’hôtel et ses cuisiniers pour qu’ils apprêtassent les plats dont ils lui avaient vu manger avec plaisir… il pressait les musiciens de se rappeler les airs qu’elle aimait ; et quand un d’entre eux répliquait hardiment qu’il n’avait jamais ouï dire que Sa Majesté eût écouté aucun morceau avec patience, le vieux monarque menaçait de le mettre à la porte pour calomnier ainsi le goût de sa fille. Le banquet fut demandé pour onze heures et demie passées, comme si, en le pressant, il eût aussi hâté la venue des convives invités ; et le vieux roi, avec sa serviette sous le bras, traversait la salle de fenêtre en fenêtre, accablant chacun de questions qui toutes consistaient à demander si on apercevait la reine d’Angleterre. Précisément au moment où l’horloge sonna midi, la reine, accompagnée d’une suite fort peu nombreuse, formée surtout d’Anglais portant comme elle des habits de deuil, entra à cheval dans la ville. Le roi René, à la tête de sa cour, ne manqua point de descendre, depuis la façade de son magnifique palais jusqu’au bout de la rue, à la rencontre de sa fille. Fière, hautaine et jalouse de ne pas encourir de ridicule, Marguerite ne fut pas contente de cette réception publique au milieu du marché ; mais elle désirait alors expier sa dernière pétulance : c’est pourquoi elle descendit de son palefroi ; et quoique un peu blessée de voir René muni d’une serviette, elle s’abaissa jusqu’à mettre un genou en terre devant lui, le priant de la bénir et de lui pardonner.

« Tu l’as… tu l’as, ma bénédiction, ma tourterelle souffrante ! » dit le simple roi à la plus fière et à la plus irascible princesse qui pleura jamais une couronne perdue… « Et quant à ton pardon, comment peux-tu le demander, toi qui ne m’as jamais offensé de-