Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 21, 1838.djvu/402

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sence donna au bon roi le temps de faire ses préparatifs : aussi, quand sa fille revint, il la supplia avec instance et obtint à force d’importunités qu’elle ferait partie d’une procession religieuse à Saint-Sauveur, principale église d’Aix. La reine, ignorant le projet médité, s’habilla avec pompe pour assister et participer à l’œuvre de piété grave qu’elle attendait ; mais elle n’eut pas plus tôt paru sur l’esplanade en face du palais, que plus de cent masques habillés en Turcs, en Juifs, en Sarrasins, en Maures, et je ne sais plus en quoi, l’entourèrent pour lui offrir leurs hommages, comme reine de Saba ; puis un morceau de musique grotesque les invitait à se former en un ballet comique, pendant lequel ils s’adressaient à la princesse de la manière la plus risible et avec les gestes les plus extravagants. La reine, étourdie par ce vacarme et irritée de la pétulance de cet assaut inattendu, aurait voulu rentrer au palais ; mais les portes avaient été fermées par ordre du roi aussitôt qu’elle en était sortie, et la retraite lui fut coupée dans cette direction. Voyant qu’elle ne pouvait se réfugier dans ses appartements, la reine s’avança devant la façade et chercha par des gestes et des paroles à calmer le tapage ; mais les masques, qui avaient leurs instructions, ne répondaient que par des chansons, de la musique et des cris. — Je voudrais, dit Arthur, qu’il se fût trouvé là une vingtaine de paysans anglais avec leurs gourdins, pour apprendre à ces vilains braillards à respecter une femme qui a porté la couronne d’Angleterre. — Tout le bruit qui se faisait devant elle n’était que silence et douce harmonie, continua Thibaut, en comparaison du tintamarre qui commença lorsque le bon roi lui-même parut, grotesquement costumé, de manière à représenter le roi Salomon… — Celui de tous les princes avec lequel il a le moins de ressemblance, dit Arthur. — Avec des cabrioles et des gesticulations de bienvenue qu’il adressait à la reine de Saba, lesquelles, comme me l’ont assuré ceux qui l’ont vu, auraient été capables de rendre la vie à un mort, et de faire mourir un vivant de rire. Entre autres attributs, il avait à la main un bâton qui ressemblait assez à une marotte de fou… — Sceptre très convenable à un pareil souverain ! — Qui se terminait par un modèle de temple juif, continua Thibaut, joliment doré et habilement taillé en carton. Il maniait ce bâton avec beaucoup de grâce, et ravissait tous les spectateurs par sa gaîté et sa souplesse, excepté la reine qui paraissait d’autant plus irritée, qu’il cabriolait et bondissait davantage, jusqu’au moment où, s’approchant d’elle pour la conduire à la procession, il