Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 21, 1838.djvu/400

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

circonstances qui montraient avec quel soin la tradition conserve les détails des anciens événements, même lorsqu’elle confond et oublie les dates et les acteurs.

S’apercevant qu’Arthur ne l’écoutait pas sans intérêt… car on peut supposer que l’éducation d’un jeune homme élevé au milieu des guerres civiles ne le rendait pas très capable de critiquer un pareil récit des guerres d’une époque très reculée… le Provençal, lorsqu’il eut épuisé ce sujet, se rapprocha de son maître et lui demanda à demi-voix « s’il connaissait ou s’il désirait savoir le motif qui avait décidé Marguerite à quitter Aix, pour aller s’établir au monastère de Sainte-Victoire ? — Pour l’accomplissement d’un vœu, répondit Arthur, tout le monde le sait. — Tout Aix sait le contraire, répliqua Thibaut, et je pourrais vous dire la vérité, si j’étais sûr qu’elle ne blessât pas Votre Seigneurie. — La vérité ne peut blesser aucun homme raisonnable, pourvu qu’elle soit exprimée en termes honorables pour la reine Marguerite en présence d’un Anglais. »

Ainsi répliqua Arthur jaloux de recueillir toutes les informations possibles, et désireux en même temps de réprimer la pétulance de son guide.

« Je n’ai, repartit le Provençal, rien à dire au désavantage de la gracieuse reine, dont le seul malheur est d’avoir, comme son royal père, plus de titres que de villes. D’ailleurs je sais que vous autres Anglais, tout en parlant vous-mêmes un peu lestement de vos souverains, vous ne permettez jamais qu’on leur manque de respect… — Parlez donc, répliqua Arthur. — Eh bien ! Votre Seigneurie saura, reprit Thibaut, que le bon roi René a été vivement affligé de la profonde mélancolie qui accablait la reine Marguerite, et qu’il a travaillé de tout son pouvoir à la changer en une humeur plus gaie. Il a donné des fêtes publiques et particulières ; il a rassemblé des ménestrels et des troubadours dont la musique et la poésie eussent pu arracher des sourires à toute autre personne, même au lit de mort. Toute la contrée retentissait des accents de la joie et du plaisir : la gracieuse reine ne pouvait sortir, dans le plus strict incognito, sans rencontrer, avant d’avoir fait cent pas, quelque surprise inattendue, telle qu’un joli spectacle, une joyeuse mascarade, composés souvent par le bon roi lui-même, qui interrompaient sa solitude et chassaient ses tristes pensées par quelque agréable passe-temps. Mais la profonde mélancolie de la reine rejetait toutes ces distractions imaginées pour l’égayer, et enfin elle se renferma dans ses appartements privés, et refusa absolument de voir même