Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 21, 1838.djvu/388

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On ne conteste pas son courage, mais la fortune ne sourit jamais à ses aventures guerrières, et il semble qu’il sentît enfin qu’admirer et célébrer les vertus militaires diffère beaucoup de les posséder. De fait René était un prince d’une très médiocre capacité, doué pour les beaux-arts d’un amour qu’il portait à l’excès, et d’un degré de bonne humeur qui ne lui permettait pas d’en vouloir à la fortune, mais le rendait le plus heureux des hommes, alors qu’un prince qui eût senti plus vivement fût mort de désespoir. Ce caractère insouciant, léger, gai et irréfléchi conduisit René, libre de toutes les passions qui font l’amertume de la vie et souvent l’abrègent, jusqu’à une vieillesse toujours verte et joyeuse. Même les pertes domestiques, qui souvent affectent les personnes qui sont à l’épreuve contre les revers de fortune, ne produisirent aucune impression sur les sentiments du vieux monarque enjoué. La plupart de ses enfants étaient morts jeunes : René prit aisément son parti. Le mariage de sa fille Marguerite avec le puissant Henri d’Angleterre fut regardé comme une alliance beaucoup au dessus de l’espoir permis au roi des troubadours ; mais, par la suite, loin de tirer aucun avantage de ce mariage, René fut enveloppé dans les malheurs de sa fille, et sans cesse obligé de s’appauvrir pour lui payer sa rançon. Peut-être au fond de l’âme le vieux roi trouva-t-il ces pertes pécuniaires moins pénibles que la nécessité de recevoir Marguerite dans sa famille et à sa cour. D’autre part, quand elle réfléchissait aux pertes qu’elle avait éprouvées, quand elle pleurait tant d’amis morts, et un royaume perdu, la plus fière et la plus passionnée des princesses n’était pas faite pour demeurer avec le plus gai et le plus jovial des souverains dont elle méprisait les goûts, à qui elle ne pouvait pardonner sa légèreté de caractère lorsqu’elle le voyait se consoler avec de semblables bagatelles. La gêne attachée à sa présence et des souvenirs vindicatifs embarrassaient le vieux monarque toujours de bonne humeur, mais ne pouvaient cependant troubler son égalité d’âme.

Un autre chagrin le tourmentait plus vivement : Yolande, fille de sa première femme Isabelle, avait succédé à ses droits sur le duché de Lorraine, et les avait transmis à son fils, Ferrand, comte de Vaudemont, jeune homme de courage et de talent, alors engagé dans une entreprise qui semblait désespérée, celle de soutenir son titre contre le duc de Bourgogne qui, avec moins de droits, mais beaucoup de puissance, envahissait et occupait ce riche duché, qu’il réclamait comme fief mâle. Et pour achever,