Page:Œuvres de Walter Scott, Ménard, traduction Montémont, tome 21, 1838.djvu/387

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difficultés et les erreurs, depuis que les troubadours ne sont plus si estimés que de coutume, depuis que le haut et noble tribunal d’Amour a cessé de tenir ses séances.

« Mais, dans ces derniers temps, continua le Provençal, les rois, les ducs et les souverains, au lieu d’être les premiers et les plus fidèles vassaux de Cupidon, sont eux-mêmes esclaves de l’égoïsme et de l’amour du gain. Au lieu de conquérir les cœurs en brisant des lances dans les tournois, ils brisent les cœurs de leurs vassaux appauvris par les plus cruelles exactions… Au lieu de chercher à mériter les sourires et les faveurs de leurs maîtresses, ils ne songent qu’à enlever des châteaux, des citadelles, des villes à leurs voisins. Mais longue vie au bon et vénérable roi René ! tant qu’on lui laissera un acre de terre, sa résidence sera le rendez-vous des vaillants chevaliers qui ne visent qu’à la gloire des armes, des vrais amants qui sont persécutés par la fortune, et des illustres troubadours qui savent célébrer et la fidélité et la bravoure. »

Arthur, curieux d’apprendre au sujet de ce prince quelque chose de plus précis que les simples rumeurs de la renommée, décida aisément le communicatif Provençal à s’étendre sur les vertus de son vieux souverain, qu’il représenta comme juste, généreux et débonnaire, ami des très nobles exercices de la chasse et du tournoi, et encore davantage de la joyeuse science de poésie et de musique ; dépensant bien au delà de ses revenus en largesses aux chevaliers errants et aux musiciens voyageurs qui encombraient sa petite cour, une de celles, bien peu nombreuses, où l’on conservait encore l’antique hospitalité.

Tel fut le portrait que traça Thibaut du dernier monarque ménestrel, et, quoique l’éloge fût exagéré, peut-être les faits n’étaient-ils que très véritables.

Né d’une famille royale et avec de hautes prétentions, René n’avait, à aucune époque de sa vie, pu mettre sa fortune de niveau avec ses droits. Des royaumes à la possession desquels il aurait pu prétendre, il ne lui restait que le comté de Provence même, principauté belle et agréable, mais diminuée par les portions que la France en avait acquises, une à une, pour avances destinées à subvenir aux dépenses personnelles du propriétaire, et par d’autres parties que le duc de Bourgogne, dont René avait été prisonnier, avait reçues en nantissement du prix de sa rançon. Dans sa jeunesse, il avait tenté plus d’une entreprise militaire pour reconquérir quelques uns des pays dont il était souverain en titre.